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L'uniforme des marins de la Marine Royale belge de 1830 (III)


Légendes et origines


Les matelots de la Marine Royale étaient vêtus d'un pantalon de laine bleu foncé à larges jambes et fermeture à pont, d'une vareuse —blouse ou jumper, autres temps autres mots— de laine bleue l'hiver ou de toile de coton blanc l'été, cette dernière garnie d'un col et de poignets de toile bleue bordée de trois liserés blancs. Par-dessus ils endossaient une veste courte de laine bleu foncé, fermant croisé au moyen de deux rangs de neuf boutons dorés frappés d'une ancre; le col de cette veste est rabattu et le col bleu de toile est porté par-dessus. Leur couvre-chef est un chapeau-canotier noir à larges bords, sur lequel est noué un ruban noir portant en lettres jaunes le nom de leur bateau. Au départ de ces éléments on combinera tenue d'exercice en armes, tenue de bord, tenue de sortie etc. (cfr. Neptunus de septembre 1998).

La Marine Royale belge venant de se créer de toutes pièces, on peut se demander d'où sort cet uniforme et d'où elle en tirait les modèles. Son premier règlement sur les tenues parut en 1832. Il était surtout destiné à mettre un peu d'ordre et d'uniformité dans les tenues portées par nos marins recrutés à la hâte, à une époque où notre Marine ne possédait encore aucun navire capable de prendre la mer. Le second règlement parut en février 1837 et est bien plus crédible. Si l'on consulte parallèlement les règlements de la Marine française et de la Royal Navy de la même époque, on apprend bien des choses. Tout d'abord on constate que la Marine française sort, le 11 octobre 1836, une nouvelle ordonnance sur les uniformes et que la Marine belge sort son règlement quatre mois plus tard. On y trouve, bien entendu, de grandes similarités. Cela est compréhensible étant donné que le roi Léopold ler dut faire appel à l'armée française pour réorganiser son armée, mise en déroute par l'armée hollandaise douze jours après sa prestation de serment comme roi des Belges. On sait que 104 militaires français, dont 5 généraux et un grand nombre de sous-officiers vinrent servir en Belgique pour nous mettre en état de résister à toute attaque.


Le col marin et ses lignes blanches

Le règlement français de 1836 décrit et prescrit une nouveauté ; il s'agit d'une "chemise-vareuse" de toile de coton blanc écru, garnie d'un col et de manchettes ou poignets de toile bleue bordés de trois liserés blancs. Avant 1836 pas de col bleu ; les chemises étaient soit bleues soit rouges, ce que nous voyons également en usage chez nous et prescrit par le règlement de 1832. En Angleterre la chemise blanche à col et manchettes apparaît vers 1830, mais ce ne sera qu'en 1857 que le choix se portera sur la garniture faite de trois liserés blancs. Ce fut un comité, présidé par le Rear admiral (contre-amiral) the Hon. Henry Rous, qui introduisit un rapport exprimant l'opportunité (desirability) de doter les marins d'une tenue uniforme. Ce rapport fut transmis pour consultation aux C. in C. (commander in chief) de Portsmouth et Devonport, qui à leur tour consultèrent leur captains. C'est à une importante majorité que les "trois lignes" l'emportèrent sur les "deux lignes" recommandées (elles devaient avoir 3/16 d'inch de large et être espacées de 1/8 d'inch). De là à conclure qu'il n'y avait pas d'uniforme dans la Navy avant 1857 c'est aller un peu vite. Ce que l'on peut comprendre c'est qu'il n'y avait pas "d'uniformité d'uniforme"! Pourtant l'importance de l'uniforme et son opportunité n'échappaient pas à l'autorité et plus particulièrement aux commandants des navires.

Chacun sait que le veston croisé bleu que nous portons aujourd'hui au-dessus d'un pantalon gris, beige ou même écossais, et que nous appelons "blazer", provient du navire anglais HMS Blazer, dont le commandant avait eu la coquetterie d'habiller les canotiers de son `captain's gig' de vestes rayées de rouge et de bleu (à rayures bleues et blanches, selon certains auteurs). Et cela se porte encore de nos jours en Grande-Bretagne dans certains clubs de sport. Particulièrement révélateur est l'Order Book du HMS Pylades de juillet 1814 qui prescrit, sous le numéro d'ordre n° 38: «Comme l'équipage aura meilleure apparence par une uniformité de tenue, il conviendra de décourager tout achat de pantalons autres _que bleus ou blancs, de gilets autres que bleus, blancs ou rouges, d'écharpes et de couvre-chefs autres que noirs». L'ordre n° 39 est encore plus précis, bien qu'aussi peu comminatoire: «Comme une quantité suffisante de vêtements chauds est une contribution nécessaire à la santé et au confort d'un chacun, il est désirable que chaque individu soit en possession des articles suivants: 2 "jacquets" bleues pour l'extérieur — 2 "jacquets" d'intérieur — 6 chemises ou 4 chemises et 2 vareuses — 2 paires de pantalons bleus — 2 paires de pantalons blancs — 2 paires de souliers — 2 paires de bas — 2 couvre-chefs — 1 écharpe noire — couchage et literie.

Le captain John Harvey Boteler, dans ses mémoires, décrit comment en 1815 on réalisait l'uniformité des tenues d'un équipage. A chacune des nouvelles recrues arrivées à bord on distribuait 12 yards (soit 10m80) de toile à voile, du fil et des aiguilles, ainsi qu'un carré de bunting (étamine de laine) noir pour en faire une écharpe, le Nelson. Des clous de cuivre plantés, en guise de mètre-ruban, dans le pont à des distances de 3 à 6 yards permet­taient le mesurage. Puis par appel au tambour l'annonce était faite qu'à la prochaine inspection —une semaine— tout le monde se devait d'être vêtu d'une vareuse et d'un pantalon du modèle imposé. Il fallait voir, ajoute-t-il, les matelots se ruer à la cuisine pour y noircir au feu un bout de bois, en guise de crayon-marqueur, et, de retour sur le pont, marquer en pointillé la forme à donner à ces vêtements et à se mettre immédiatement à l'ouvrage. Ceux qui ne se sentaient réellement pas capables de faire ces travaux de couture, cédaient leur tour de ration de rhum à de plus experts.

Remarquons que, tant sur les navires marchands que sur les navires de guerre, c'étaient les matelots qui recousaient les voiles déchirées, usées ou trouées par la mitraille, et pas seulement les gabiers, gréeurs et voiliers. Certains étaient si habiles en couture que le petit prince royal Albert-Edouard —futur roi Edouard VI—, revêtu à l'âge de cinq ans d'un "costume marin", réplique exacte faite par un matelot du yacht royal, eut l'honneur de passer à la postérité dans cette tenue en posant pour le célèbre peintre F. Winterhalter, tant ses parents en étaient fiers. Ce portrait détaille à merveille la tenue des matelots de Sa Gracieuse Majesté en 1846. On y voit le pantalon à pattes d'éléphant, à fermeture à pont à 4 boutons, la vareuse rentrée dans le pantalon et garnie de son col marin et de ses poignets en "dungaree" bleu bordés de trois liserés blancs et la cravate noire sous le col d'une fine chemise blanche portée sous la vareuse et y retenue par une liette en cordonnet blanc. Un ruban bleu foncé cousu sur la couture du bras gauche indique que le matelot est de la bordée de bâbord. Remarquons aussi que la cordelière blanche —le lanyard— est passée à la ceinture et sert à maintenir le couteau de marin dans sa gaine de cuir blanche. (Plus tard lorsque le couteau fut à lame pliante, il se rangeait dans une poche appliquée à gauche sur la poitrine et la cordelière se porta autour du cou.) L'enfant porte fort en arrière le grand chapeau-canotier noir. Signalons encore que l'été et dans les climats chauds, ce chapeau était remplacé par un chapeau de paille de même forme qui, tenez-vous bien, était tressé et tissé par les matelots eux-mêmes. Ces chapeaux étaient, au dire du captain Boteler, très rapidement confectionnés et très bien faits. La paille spéciale d'un genre proche du raphia —le bananier des îles Mascareignes— était obtenable des barges de ravitaillement qui accostaient les navires en rade. Notre nouvelle marine de 1830 n'était pas si chiche; elle fournissait à ses marins tous les vêtements dont ils avaient besoin.

La légende, du moins celle qui hante les coursives de la Royal Navy, veut que les trois liserés qui bordent le col marin représentent ou rappellent les trois grands faits d'armes de l'amiral Nelson: Copenhague, Aboukir (battle of the Nile) et Trafalgar. Qui lo sa? Mais pourquoi n 1857, soit 52 ans après sa mort? Et pourquoi la Marine française adopta-t-elle déjà en 1836, soit 21 ans avant les Anglais, les trois liserés? La Marine belge, comme on l'a vu, suivit la mode française.

Voilà donc pour l'origine du col marin ; reste à savoir quand et comment il devint indépendant de la vareuse. Mauvaise teinture, répondra la ménagère, et qui pouvait déteindre sur la vareuse ! Peut-être ou peut-être pas, car on le maintiendra sous cette forme dans la Marine anglaise jusqu'en 1891 et dans la Marine française jusqu'en 1911. Entre-temps en France un important arrêté de 1858 modernisa les uniformes des marins et introduisit le tricot rayé. C'était une chemisette de corps —on dirait aujourd'hui un T-shirt— tricotée à mailles unies se composant de fils de coton écru et de fils teintés à l'indigo (bleu) pur, sans avivage (naturel donc), formant des raies horizontales alternativement blanches et bleues: 21 raies blanches pour 20 raies bleues d'une largeur respective de 2 et de 1 cm (ce qui correspond aux dimensions actuelles). Ce n'est qu'en 1911 qu'on estima que le port superposé de trois vêtements —tricot rayé, chemise-blouse à col bleu et vareuse de laine bleue— était quelque peu excessif ; les responsables de l'habillement décidèrent par conséquent de supprimer la vareuse de toile blanche et de n'en garder que le col, qui de ce fait devint amovible. On en profita pour en modifier les dimensions et le rendre plus haut —25 cm— et moins large —45 cm—, qui sont elles aussi les dimensions actuelles. Dans la Marine belge on suivit le règlement français en 1914-1918 et le règlement anglais en 1940-1945 et après : c. à d. qu'on porta le tricot rayé à la première guerre mondiale et le 'white front' à la seconde.

 

Le "Nelson" vrai ou faux?

L'écharpe noire dont il est question plus haut est la cravate de marin que les anciens de la Royal Navy nous ont appris à appeler le "Nelson" et qu'ils nous ont dit être portée en signe de deuil de la mort du grand amiral Nelson. En réalité elle s'appelle dans les documents officiels anglais le "black silk handkerchief' ou "neck handkerchief', en français le foulard de cou de soie noire. D'ailleurs, à consulter les règlements et examiner les illustrations de l'époque, on ne peut que constater que le marin anglais est équipé de cette écharpe bien avant la disparition tragique de lord Nelson et qu'elle était sûrement portée par l'équipage du Victory, le navire-amiral de Nelson, à la bataille Trafalgar. Elle n'est donc pas le symbole du deuil de Nelson! Dommage, car la légende était belle. Malgré cela on continuera dans notre marine à l'appeler, par sentimentalité et nostalgie justifiées, le "Nelson das — foulard Nelson".


Le canotier

Encore un mot sur le canotier, puis je vous largue. Il est dit que dans les règlements de la Marine Royale belge que le couvre-chef des matelots était un chapeau à calotte plate et à larges bords. La calotte faisait 7 cm de haut et les bords en faisaient 8. L'été et dans les climats chauds il était remplacé par un chapeau de paille de même forme. Les deux chapeaux étaient ornés d'un ruban de taffetas noir, large de 3 cm et long de 1m14, faisant le tour de la calotte ; il se nouait par derrière et ses bouts étaient coupés en queue d'hirondelle. Les marins y peignaient en fantaisie (autorisée) le nom de leur bateau pour qui était embarqué et "Marine Royale" pour les autres. Le canotier trouve son origine dans un chapeau rond à larges bords, confectionné en toile à voile par les marins eux-mêmes, pour se protéger de la pluie et des intempéries ; il était enduit d'huile siccative, de noir de fumée et de goudron pour le rendre imperméable (1750). C'est de là que proviennent les surnoms de "tarpaulin" et de "jack tar", donnés familièrement aux marins. Ce n'est donc pas la queue de cheveux tressés (pigtail) qu'on disait enduite de goudron (!), qui a donné naissance à ce surnom encore usité de nos jours, mais bien leur chapeau qui a survécu sous la forme du suroît (southwester), lui aussi en toile à voile enduite d'huile siccative et de pigment noir, tout comme l'était l'"oilskin", de collante mémoire (n'est-ce pas les anciens ?). Le canotier peu pratique et encombrant était remplacé à bord par un bonnet de marin, dit de forme écossaise, muni ou non en son sommet d'une houpette ou pompon de laine ; c'était en sorte le bonnet de police des marins. Le canotier était parfois le chapeau de paille qu'on pouvait recouvrir d'une coiffe de toile cirée noire, mais le plus souvent il était confectionné en feutre enduit de peinture noire pour le rigidifier (un mélange de noir de fumée et d'huile siccative). La mode lui fit prendre bien des formes et l'on voit sur des photos prises en France sous le Second Empire que les matelots le portaient les bords relevés jusqu'à en faire des soucoupes ridicules.
En Angleterre le canotier fut remplacé par un bonnet de marin décrit comme identique à la casquette des officiers mais sans la visière ; l'été et dans les climats chauds il se portait recouvert d'une coiffe blanche et il évolua jusqu'à devenir en 1910 cette toque rigide que nous connaissons et que nos matelots ont porté jusqu'en 1953. Le chapeau de paille ne fut aboli que dans les années 1920 et remplacé dans les tropiques par un casque colonial. Ces couvre-chefs de matelot : bonnet de marin, canotier et chapeau de paille n'ont pas, comme le "Nelson", le col marin et les sept plis (les sept mers!) du pantalon, d'origine légendaire, ni d'explication phantasmagorique, bien qu'ils soient si typiquement et exclusivement maritimes. No questions? Alors, à bientôt!


À Ostende, Pâques 2006 CPV (hre) J-C.
Liénart

Mes références sont: 'British naval dress' par Dudley Jarret (London, J M Dent & Sons Ltd, 1960); la revue `Marine' d'avril 1999, publiée par l'ACORAM, et la revue Weptunia, nos 102, 103, 104 et 115 par le commissaire général de la Marine, Jacques Letrosne, et bien entendu notre Weptunus' de septembre 1998 qui fait référence au Conservateur en chef du Musée de l'Armée et d'histoire militaire, Mr Louis Lecomte, dans 'Les Ancêtres de la Force Navale' et 'Les Cahiers de la Fourragère'.

84 NEPTUNUS JUNI - JUIN 2006

                                                         

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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