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La Compagnie d'Ostende (IV)

 

de Leon Hennebicq 1919

 

On invoquait, pour exclure la Belgique de la navigation des mers lointaines une prescription de non-usage, comme si la Hollande et l'Angleterre ne s'étaient pas trouvées autrefois dans la même position à l'égard de l'Espagne et du Portugal, qui les avaient devancées d'un siècle.

On faisait revivre le traité de Tordésillas contre l'Espagne pour l'exclure de l'hémisphère oriental et on ne le laissait pas subsister en sa faveur, car elle n'avait plus le monopole de l'hémisphère occidental.

De quel droit surtout pouvait-on interdire à la Belgique la faculté de parcourir les mers, faculté dont jouissaient tous les états maritimes de l'Europe, à une époque surtout où l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, la Hollande, la France, le Danemark même, avaient des colonies ?
Enfin, ce qui prouvait, mieux que toute chose, la faiblesse de l'argumentation hollandaise, c'était la nécessité d'assimiler les Belges aux Espagnols, comme si les deux pays, quoique soumis au même souverain, n'avaient pas toujours eu une existence distincte.

On conçoit pourtant, à la rigueur, que pendant la domination espagnole, on ait pu confondre les Belges avec les Espagnols. Cette confusion, aurait peut-être pu servir à étayer leur thèse aussi longtemps que l'Espagne avait protestée contre la perte de nos provinces. Mais maintenant que les traités de Vienne avaient définitivement réglé ce litige, rien ne pouvait plus justifier l'emploi de tels procédés.

Une lutte s'engagea donc, très vive de part et d'autre, sur l'interprétation des dispositions indiquées. Des livres, des pamphlets, des mémoires sans nombre furent publiés à la Haye, à Bruxelles et à Cologne, en latin, en français, en flamand et même en allemand. Un trait pourtant leur est commun, c'est leur rédaction diffuse et pénible, comme si le débat n'avait qu'un intérêt médiocre de procédure.

Les défenseurs de la Compagnie belge, dont la cause était si belle, suivent leurs adversaires dans toutes leurs arguties, développant ainsi, hélas ! en faveur de la Belgique des arguments qui témoignent combien la dignité nationale s'était atrophiée sous les sceptres étrangers.

Ils insistent, en effet, sur cette considération que la Belgique doit servir de barrière à la Hollande ; que si elle n'a pas de commerce, elle s'appauvrira au point de ne pouvoir ni lui payer ses subsides, ni entretenir convenablement ses forteresses ; que, dès lors, il est de l'intérêt des États Généraux de ne point lui interdire le commerce qu'elle ambitionne. Puis, au risque de paraître peu logique, ils ajoutent : « Ce commerce, en définitive, à quoi se réduit-il ? Presque rien : au droit d'envoyer, chaque année, deux ou trois navires aux Indes et de se pourvoir des denrées coloniales, nécessaires à la consommation intérieure. »

Ainsi, l'on s'amoindrit le plus qu'on peut, on se crée des titres à une tolérance de dédain, on se fait, en quelque sorte, un bouclier de sa propre humiliation, s'assimilant, suivant le mot de Borguet, à ces mendiants qui se prévalent de leurs infirmités pour solliciter la commisération publique.

Tant s'était perdue cette fierté nationale qui seule peut faire une grande nation.

 

IX LE PUSILLANIME CHARLES VI SUSPEND LA COMPAGNIE EN PLEINE PROSPÉRITÉ

Cependant que les pamphlétaires se débattaient dans le maquis de leur savante argumentation, la diplomatie, dans l'éventualité d'une guerre européenne, cherchait de toutes parts à s'acquérir des alliances.

La cour impériale gagna à sa cause le gouvernement de Pétersbourg, à qui pourtant Walpole avait fait des ouvertures sur la Pologne, et obtint du Roi de Prusse qu'il se retirât secrètement de l'Alliance de Hanovre, quoiqu'on lui eût laissé entrevoir d'éventuels agrandissements en Prusse Polonaise.

Mais Frédéric-Guillaume ler n'était pas de ces souverains que l'on peut payer de vaines promesses. L'Autriche exploita ses défiances et lui enleva ses derniers scrupules en lui procurant des avantages immédiats en espèces sonnantes.

La France et l'Angleterre, de leur côté, cherchèrent à attirer la Hollande, dont l'adhésion était presque certaine dans l'état d'aigreur où se trouvaient les rapports des Cabinets de Vienne et de la Haye.

Cependant les États Généraux, songeant aux 600 millions que leur avait coûtés leur coopération à la guerre de Succession d'Espagne, hésitèrent près d'une année avant d'entrer dans cette alliance. Peut-être une politique habile eût-elle pu tirer parti de cette répugnance ; mais les négociations entamées à ce sujet furent maladroitement conduites de la part de l'Autriche, et les Provinces-Unies se décidèrent, le 9 août 1726, à accéder à l'alliance de Hanovre.

La guerre semblait inévitable, d'autant que la Suède et le Danemark avaient suivi l'exemple de la Hollande, quand, brusquement, des propositions de paix partirent de la cour de Vienne. L'Empereur demandait de laisser décider, par arbitre, si l'établissement de la Compagnie d'Ostende était, ou non, contraire aux traités.

Cette offre de médiation fut rejetée ; mais cette ouverture en amena d'autres et, après plusieurs ultimatums, Charles VI, à qui l'on avait promis de ratifier sa Pragmatique Sanction, consentit à signer, le 31 mai 1727, les préliminaires de Paris.

Sacrifiant les intérêts d'Ostende et de tous les Pays-Bas autrichiens à ceux de sa dynastie, l'Empereur y déclarait que « n'ayant d'autre but que celui de contribuer à la tranquillité de l'Europe, et, -voyant que le commerce d'Ostende avait causé des inquiétudes et des ombrages, il consentait à ce qu'il y eut suspension de l'octroi de la Compagnie d'Ostende et de tout commerce des Pays-Bas aux Indes pendant sept ans. »
Enfin, après de patientes négociations, un an plus tard, le 15 mai 1728, le Baron de Fonseca signait à Paris, avec Walpole et M. Boreel, plénipotentiaires des Provinces-Unies, un traité où se trouvait inscrite la déclaration de Charles VI, suspendant pendant sept ans la Compagnie Impériale et Royale établie dans les Pays-Bas Autrichiens.

 

***


La suspension de la Compagnie d'Ostende, —suspension regardée déjà, à bon droit, comme une abolition anticipée, — était d'autant plus désastreuse que, malgré les polémiques des pamphlétaires et les intrigues diplomatiques, jamais la situation financière n'avait été aussi florissante.

Peu après que l'émoi causé par la Ligue de Hanovre se fut calmé, une troisième Assemblée générale se tint à Anvers, le 4 décembre 1725.On y examina les comptes de la Compagnie depuis sa création ; et le bilan fut trouvé si encourageant que l'on décida, avec une forte majorité, la colonisation de Cabelon sur la côte de Coromandel, de Brankibazar et d'Hydsiapour à l'embouchure du Gange, ainsi que la création d'un entrepôt belge, un hong, à Canton.

La Compagnie devenait donc, à l'instar des grandes Compagnies anglaises, hollandaises et françaises, une Compagnie de colonisation.
Coloniser, à cette époque, c'était surtout créer, tout le long de la côte du pays que l'on voulait exploiter, des comptoirs où les indigènes venaient apporter leurs marchandises. Elles y étaient entreposées jusqu'à l'arrivée du prochain bateau, de telle sorte que jamais aucun bateau ne devait attendre pour trouver du fret, ce qui permettait à la Compagnie d'acheter les denrées qu'elle voulait importer en Europe à bien meilleur compte. Cette colonisation, malgré les dépenses qu'elle nécessiterait, présentait donc de grands avantages.

Le retour du Charles VI, qui avait été envoyé au Bengale pour remplacer le Saint-Charles, vint confirmer l'espoir que l'on avait de réaliser des bénéfices permettant la création de tous ces établissements de colonisation.

Arrivé à Calcutta, en juillet 1725, après trois mois de voyage, ce bâtiment de ligne y avait débarqué une cargaison valant 694.838 florins. Puis chargé de coton, de soie, de mousseline, de cauris (petites coquilles qui servent de monnaie dans l'Inde et au Sénégal), de curcuma ou safran des Indes, de bois de calliatour (santal rouge) et de rotin, il avait, par le Cap de Bonne-Espérance, repris sa route pour rentrer à Ostende.

Il y revint, le 18 juillet 1726, et sa cargaison fut vendue pour 1.554.456 florins, 6 sols, 3 deniers, rapportant à la Compagnie un bénéfice de 362,328 florins.

Alors que le Charles VI voguait encore dans l'Océan Indien, d'autres navires étaient déjà envoyés vers le Bengale. C'était l'Espérance, un vaisseau de ligne de 250 tonneaux, percé pour 20 canons et la Paix, une frégate de 400 tonneaux et de 28 canons, montée par 95 hommes d'équipage.

Appareillés dès la fin de janvier 1726, ces deux navires quittèrent Ostende, le 15 février, chargés de plomb et d'argent. L'Espérance avait à bord, outre ses 94 matelots, le Gouverneur Général des Établissements belges du Bengale, Hume, ainsi que les quelques fonctionnaires qui devaient l'aider dans sa tâche.

Après quatre mois de traversée, ces deux navires arrivèrent aux Indes. Ils y débarquèrent leurs passagers, vendirent leur cargaison qui valait 1.179.782 florins, puis, ayant arrimé dans leurs cales des cauris, des bois exotiques, des indiennes, des cachemire, etc., ils cinglèrent vers leur port d'attache.

Cette fois l'expédition fut moins rémunératrice que les précédentes, car la vente de la cargaison ne rapporta à la Compagnie que 121.650 florins.

C'était peu. Heureusement, au printemps de 1727, deux navires, le Charles-VI, revenu depuis six mois à peine, et l'Archiduchesse-Elisabeth, un vaisseau de ligne que l'on venait de lancer, firent voile vers l'Inde avec un armement valant 1.330.220 florins.

Ces deux navires, naviguant de conserve, revinrent à Ostende un an plus tard, le 12 juillet 1728, et cette fois la cargaison rapporta près d'un million de • florins de bénéfices à la Compagnie (exactement 907.590 florins).

Ce fut, malheureusement, la dernière expédition que l'on tenta vers le Bengale, car à leur retour, la Compagnie des Indes, établie dans les Pays-Bas autrichiens, avait cessé de vivre.

Mais la Compagnie d'Ostende n'avait pas borné son champ d'action aux Indes Orientales seules ; elle devait aussi faire le négoce avec la Chine.

Déjà, en 1724, l'Aigle et la Sainte-Elisabeth avaient jeté l'ancre à Macao, et cette expédition avait rapporté 1.257.000 florins, bénéfice tel que jamais la Compagnie n'en réalisa de semblable dans ses armements avec l'Inde.
Aussi, s'était-on bien gardé, malgré la longeur du voyage, d'abandonner le marché chinois à nos rivaux.

En même temps que le Charles-VI partait pour remplacer, au Bengale, le Saint-Charles, perdu corps et bien, deux navires quittaient également le port d'Ostende, à destination de Canton, au printemps de 1729. C'étaient L'impératrice, un nouveau vaisseau de 500 tonneaux, 28 canons et 93 hommes d'équipage, qui avait coûté 57.000 florins et le Marquis-de-Prié, une frégate de 180 tonneaux, 28 canons, montée par 92 matelots dont 71 étaient Belges.

Six mois plus tard, les deux bâtiments avaient à peine accosté les quais de Canton que, déjà, trois autres navires avaient cinglé vers la Chine : l'Aigle, qui avait déjà fait partie de la première expédition envoyée à Macao, le Tigre et le Lion, deux frégates de 250 et 400 tonneaux, montées- respectivement par 70 et 82 hommes d'équipage. Leur armement consistait, pour le Tigre, en 28 canons, et, pour le Lion, en 22 canons.

Au printemps de 1727, la seconde expédition {Impératrice et Marquis-de-Prié) vint mouiller en rade d'Ostende. Le bénéfice fut tel (1.359.250 florins) que, malgré l'émoi causé par la Ligue de Hanovre, on arma sur-le-champ une quatrième expédition, qui devait comprendre le Marquis-de Prié et la Concorde, un bâtiment de ligne de 600 tonneaux, percé pour trente canons et monté par 140 hommes.

Ces navires en étaient à leur second voyage : le Marquis-de-Prié revenait précisément de la précédente expédition ; quant à la Concorde, elle avait déjà fait partie de la flottille, dont le départ avait été la cause de la création de la Compagnie.

Entre temps, la troisième expédition venait jeter l'ancre dans l'avant-port d'Ostende à l'automne, rapportant une cargaison dont la vente rapporta à la Compagnie la somme, énorme pour l'époque, de La Compagnie d'Ostende 2.370.504 florins, somme qui constitue le bénéfice le plus fructueux qu'ait jamais réalisé la Compagnie.

Quant à la quatrième expédition, qui rentra en même temps que le Charles VI et l'Archiduchesse Elisabeth — retour ceux-ci du Bengale — elle rapporta presque autant que la troisième expédition de Chine, bien qu'elle ne comprît que deux navires : 2.060.874 florins au lieu de 2.370.504, tandis que la vente de la cargaison du Charles-VI et de l'Archiduchesse-Elisabeth avait rapporté près d'un million de florins.

Mais l'âge d'or, déjà, était fini      

 

X DE LA SUSPENSION A LA SUPPRESSION

L'impression que produisit la suspension de la Compagnie d'Ostende fut d'autant plus profonde que jusqu'alors on avait pris fort au sérieux les promesses réitérées d'une protection efficace : jusqu'au dernier moment, Charles VI n'avait cessé de protester de sa ferme volonté de ne jamais permettre aux puissances de causer quelque détriment à la Compagnie.

Après chaque assemblée générale, alors que l'on allait à Vienne soumettre le bilan, l'empereur avait chaque fois renouvelé ses solennelles déclarations. Un an à peine auparavant, après que la Ligue de Hanovre eut déterminé une troisième assemblée générale, Charles VI avait encore réitéré sa promesse au directeur Proli.

Aussi l'émotion fut-elle à son comble, lorsque l'on apprit que l'empereur avait consenti à l'abolition de la Compagnie. Un moment, on n'y voulut point croire, quoique depuis quelques jours, des bruits fâcheux eussent circulé avec persistance ; ces bruits étaient, disait-on, répandus par les nombreux agents que l'ennemi avait disséminé dans toutes nos provinces, avec l'intention évidente de faire baisser les actions de la Compagnie.

Il fallut la publication officielle des préliminaires de Paris pour dessiller les yeux. La désillusion fut cruelle : on put craindre un moment que ; comme en 1718, des troubles ne soulevassent les Belges contre la domination autrichienne. Mais deux siècles de guerres et d'infortunes avaient affaibli ce peuple, si épris, pourtant, de liberté. On se contenta de déplorer amèrement le sort et de tirer la leçon de l’ ‘événement.

La perte était énorme. Le commerce avec la Chine avait laissé un bénéfice net de 7.058.305 florins et le commerce avec le Bengale et Moka un bénéfice de près de trois millions de florins, de sorte que le capital de la Compagnie, qui s'élevait à six millions de florins et que l'on avait estimé exagéré, avait été amorti en moins de trois ans ! Toutes proportions gardées, la Compagnie hollandaise de 1602 elle-même n'avait jamais connu une telle prospérité.

Aussi, malgré les bruits fâcheux lancés par les agents hollandais, les actions étaient-elles encore à 128 florins. Mais dès que la suspension ne fit plus de doute, elles tombèrent à 48. En revanche, la Compagnie anglaise des Indes orientales réalisa, en 1728, un bénéfice de 1.200.000 livres sterling de plus que les années précédentes et décida d'armer pour la Chine trois vaisseaux au lieu d'un.

La Compagnie d'Ostende ayant été déclarée suspendue et non abolie, il fallait songer à la soutenir pendant sept ans, sans quoi, il eût mieux valu une abolition immédiate, puisque les capitaux devaient rester improductifs et les frais d'administration continuer. Le ministère autrichien s'était montré oublieux des intérêts du commerce belge au point de ne stipuler aucune mesure conservatrice. On proposa plusieurs moyens ; mais ils eussent pu mécontenter les puissances hostiles, et l'empereur, toujours tremblant sur le sort de sa Pragmatique, n'osa pas y recourir.

En tous cas, c'était une question qu'il fallait régler au plus vite. A cet effet, les plénipotentiaires des Puissances se réunirent à Soissons ou un Congrès s'ouvrit en juin '1728. Charles VI, avant d'étudier, d'accord avec les diplomates étrangers, la manière de faire vivre la Compagnie d'Ostende jusqu'en 1734, voulut aussitôt faire ratifier sa Pragmatique Sanction par les puissances, comme elles le lui avaient promis lors des préliminaires de Paris, Mais le gouvernement français, désireux de créer des ennuis à l'empereur, feignit d'ignorer la promesse qu'il lui avait faite un an auparavant Peu après, Charles VI apprit que, par le traité de Séville, du 9 novembre 1729, l'Espagne, à son tour, l'abandonnait. Comprenant alors qu'il avait été dupé, il ne cacha plus son indignation et, après quelques vaines tentatives, qui se heurtèrent à l'attitude intransigeante des puissances, les négociations furent définitivement rompues.

Pourtant la suspension de la Compagnie d'Ostende n'était pas un résultat satisfaisant aux yeux de Walpole et des gens de Hollande : on risquait, en effet, de la voir revivre dans quelques années. C'était un spectre toujours menaçant. Ce qu'il fallait, c'était la supprimer définitivement. Alors seulement on pourrait trafiquer en paix, délivré, enfin, de cette obsession.

De plus, malgré la rupture un peu brutale du congrès de Soissons, aucune des puissances ne voulait la guerre ; elles savaient trop ce qu'il en coûtait de la faire. Enfin, ni la Hollande, ni l'Angleterre n'étaient absolument opposées à la ratification de la Pragmatique Sanction, à la condition toutefois que l'Autriche payât chèrement cette faveur. Seule la France, qui voyait encore dans l'Autriche une toujours menaçante ennemie, malgré que la Prusse eût dû déjà lui inspirer plus de crainte, ne voulait à aucun prix régler par traité la succession de l'Empire, se réservant ainsi le droit d'intervenir à la mort de Charles VI ; à peine l'annexion des Pays-Bas autrichiens eût-elle pu compenser l'octroi de la garantie qu'implorait Charles VI.

Walpole et les États-Généraux de Hollande, comprenant que, sur ce point, Fleury était irréductible, se séparèrent de la France et entamèrent des négociations secrètes avec l'empereur, en décembre 1730.

Elles aboutirent rapidement : le 16 mars 1731, l'Angleterre et la Hollande promirent à Vienne de reconnaître la Pragmatique Sanction si Charles VI empêchait le commerce et la navigation des Indes. Le 22 juillet suivant, l'empereur signa un traité où il s'engagea « à faire cesser incessamment et pour toujours tout commerce et navigation aux Indes orientales dans toute l'étendue des Pays-Bas autrichiens » (article 5), et il obtint de l'Angleterre et de la Hollande la promesse de défendre, maintenir et garantir de toutes leurs forces « l'ordre de succession établi dans sa Pragmatique (article 2) ».

Ce traité, dont les clauses draconiennes évoquaient le douloureux souvenir du traité de la Barrière, était une nouvelle preuve — bien inutile, hélas ! — du sort que la domination étrangère réservait à nos provinces. Vraiment, nous avions bu la coupe jusqu'à la lie.

Pourtant la Hollande ne se contenta pas de ce succès si facilement remporté : quoiqu'elle figurât au traité, son ministre, prétextant de pouvoirs insuffisants, ne le signa pas ; toutefois une convention annexe en prévit la ratification endéans deux années.
Pour obtenir de la Hollande cette ratification, il fallut encore une série de pénibles négociations. Malgré les avantages que lui accordait ce traité, les États Généraux ne s'estimaient pas satisfaits. Ils eussent voulu étendre aux Indes occidentales la défense de trafiquer, quoique la discussion n'eût jamais roulé que sur les Indes orientales. Il eût même fallu déclarer que tous vaisseaux, quels qu'ils fussent, venant des Indes, ne pourraient entrer dans les ports flamands. C'était non seulement exclure les Belges de la navigation des Indes, mais fermer leurs ports à l'étranger, les mettre dans la nécessité de recevoir des Hollandais eux-mêmes les denrées coloniales que réclamait la consommation intérieure.

L'Autriche, heureusement dans cette occasion, se montra inflexible et les États Généraux, après avoir mûrement pesé les avantages du traité, se décidèrent à accorder leur accession, le 20 février 1732.

Les clauses du traité furent inexorablement exécutées. Vainement on essaya de se soustraire par la fraude à cet inique abus de force ; la malheureuse Compagnie d'Ostende fut poursuivie dans ses débris avec un incroyable acharnement, tandis qu'ailleurs de semblables sociétés se créaient sans soulever d'opposition sérieuse.

Deux ans après le second traité de Vienne (1733), Philippe V d'Espagne trouva bon d'instituer une Compagnie pour le commerce avec les Indes orientales et, malgré les réclamations, maintint son octroi. Les Espagnols restèrent ainsi en possession d'un droit dont les Belges n'avaient été privés que par suite de leur assimilation avec les Espagnols. Rien ne fait mieux ressortir la révoltante iniquité de la mesure dont nous fûmes victimes.

Charles VI fut châtié d'avoir sacrifié, sans hésitation, la cause de notre pays à des intérêts dynastiques. Six ans plus tard, par un deuxième traité de Vienne (18 novembre 1731), il se voyait arracher par Don Carlos, Naples et la Sicile ; de plus il était contraint de céder Novare au roi de Sardaigne.

Après sa mort, le 20 octobre 1740, la Pragmatique Sanction, qu'il avait fait ratifier au prix du plus lâche abandon, ne protégea en rien l'Empire contre les convoitises des puissances. Celles d'entre elles qui avaient mis le plus d'empressement à la ratifier n'eurent de cesse qu'elles ne se fussent coalisées pour disputer à sa fille, Marie-Thérèse, un héritage si chèrement acheté.

Ainsi se vérifia la prophétie du prince Eugène, que cent mille baïonnettes eussent mieux garanti la Pragmatique Sanction que cent mille signatures.

 

XI SUPRÊMES ET VAINS EFFORTS
L'abolition de la Compagnie d'Ostende ne fut pas, cependant, un coup assez rude pour abattre définitivement notre indomptable énergie. Il ne serait pas dit, qu'après un premier échec, plus rien ne serait tenté pour relever notre commerce et pour envoyer à nos établissements de l'Inde, qui étaient alors en pleine prospérité, les secours qui leur étaient nécessaires.

On voulait lutter encore !

À peine la suppression de la Compagnie était-elle officiellement édictée que déjà il se créait à Anvers une jointe secrète pour essayer de rétablir les communications entre Ostende et le Bengale.

Ce n'était certes pas chose facile que de tromper la surveillance des navires de guerre embossés par les Provinces-Unies devant la rade d'Ostende, depuis la suppression de la Compagnie. Néanmoins, la nuit, en se glissant hardiment à travers les hauts fonds, plusieurs navires légers parvinrent à prendre le large et à cingler vers les Indes où le gouverneur Hume manquait de tout.

Successivement, quittèrent le port le Cheval-Marin, le .Neptune, le Phénix et le Duc-de-Lorraine. Tous portaient dans leur cale de l'or, des armes et de la poudre pour permettre à Hume de se procurer l'alliance des radjahs indigènes et de défendre ses postes contre une attaque éventuelle des Hindous, qu'armaient contre eux, disait-on, les compagnies anglaises et hollandaises.

Peu après, l'embargo ayant été levé, deux autres navires de 600 tonneaux, percés pour 30 canons, deux « vétérans » partirent encore pour les Indes : c'étaient la Concorde, montée par 140 hommes, qui avait déjà fait deux voyages en Chine, et l'Apollon qui, sous le nom de l'Archiduchesse-Élisabeth, avait fait partie du dernier convoi destiné aux Indes orientales.
Faute de capitaux, ces armements secrets, presque tous déficitaires, durent cesser bientôt, et nos possessions de l'Inde, laissées sans secours, ne tardèrent pas à disparaître.

C'était la ruine de nos dernières espérances ; le beau rêve s'était évanoui.

Et, résignée, songeant sans amertume à son glorieux passé, Ostende s'endormit pour cent ans, réveillée parfois par le bruit des armes et le fracas des canons.

Mais ce n'étaient que de courts cauchemars dans ce long sommeil

 

A SUIVRE

 

                                                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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