HISTORIEK  HISTORIQUE  HISTORIC

 

 

H

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                           

Opérations navales sur le lac Takanyka au cours de la première guerre mondiale

 

1911 fut pour l'Afrique une année mouvementée et de dangereuses menaces se précisèrent alors à l'adresse de notre Congo que l'Empire allemand convoitait, ne se satisfaisant pas des importantes possessions africaines qu'il détenait déjà. Les représentants de Guillaume II se plaisaient à répéter combien l'Allemagne se préoccupait de l'avenir d'un si grand territoire qui manifestement était au-dessus des possibilités financières de la Belgique. L'évocation des soucis du gouvernement allemand dissimulait mal son désir de s'emparer purement et simplement de notre colonie.

Le Roi Albert n'avait pas été long à percer les intentions véritables de son belliqueux cousin, mais il espérait malgré tout préserver le Congo de la tourmente qui se préparait à l'Ouest, bien que notre colonie eût une frontière commune de plus d'un millier de km avec l'Est africain allemand. Aussi le Roi avait fait parvenir à notre gouverneur des instructions très précises concernant les dispositions à prendre, en cas de conflit en Europe ; celles-ci témoignaient d'un réel désir de s'en tenir uniquement à une attitude défensive.

Il n'eût pu, du reste, en être autrement, puisque sur le lac Tanganyika qui, long de 700 km, séparait les deux colonies, nous n'avions même pas un embryon de marine militaire, pas plus d'ailleurs qu'en métropole. Au contraire, les Allemands disposaient sur les lacs de plusieurs bâtiments armés, montés par des équipages issus de la Marine Impériale ; ne pouvant rien leur opposer nous leur offrions ainsi la maîtrise totale de ces véritables mers intérieures, ce dont ils n'allaient pas tarder à profiter.

L'ouverture des hostilités sur le front européen laissait, par contrecoup, entrevoir à l'Allemagne la réalisation de ses désirs de pénétration en Afrique Centrale ; elle allait enlever en même temps au Roi Albert l'espoir de voir le Congo, par le maintien d'une stricte neutralité, éviter les affres de la guerre.

Dès le 15 août 1914, un vapeur allemand vint bombarder des postes belges sur la rive ouest du lac Tanganyika, à Uvira. Il aurait eu tort de se gêner certain de ne rencontrer aucun adversaire valable sur l'immense plan d'eau.

En effet, nous ne possédions alors sur le lac que le vieux vapeur non armé de 50 tonnes, l'ALEXANDRE DELCOMMUNE, dont les jours étaient déjà comptés; le 22 août, lors qu'il faisait route de Lua à Lukuga, il fut pris en chasse par l'HEDWIG VON WISSMANN de 60 tonnes et 28 m de long, armé de quatre 37 mm et filant 8 noeuds; le DELCOMMUNE parvint à se réfugier devant le poste de la Kalemie mais touché par deux obus, il se trouvait ainsi momentanément hors service.

Ce premier coup porté par l'adversaire, loin de n'être qu'un coup de semonce, nous plongea brutalement devant la dure réalité des faits ; la nécessité impérieuse de constituer au plus tôt une flottille militaire sur les Grands Lacs s'imposa d'une manière d'autant plus angoissante que nous ne disposions ni de matériel, ni de personnel.
On commença péniblement à rassembler tout ce qui pouvait flotter et on se mit à battre le rappel de tous ceux dont les connaissances en navigation pouvaient être mises à profit : officiers et marins de l'État et du Commerce, tels les lieutenants Anthone, Corbisier et Lenaerts, auxquels se joignirent bientôt d'autres volontaires dont l'ardeur à l'ouvrage devait suppléer au manque de métier : gens de la Force publique, artilleurs de forteresse ou de l'armée de campagne, et bien d'autres encore.

Mais revenons à notre malheureux DELCOMMUNE dont on avait vaille que vaille pansé les blessures et qui se trouvait à présent échoué à m'Toa sous la protection du poste de l'endroit.

Bien qu'il n'ait jamais eu de valeur militaire et qu'il ne fût même plus en état de naviguer, les Allemands s'obstinaient à voir en lui un dangereux adversaire et ne ménagèrent pas leurs efforts pour en venir à bout. Dans la nuit du 8 au 9 octobre, le VON WISSMANN parvint à débarquer aux abords de m'Toa un commando qui réussit à endommager de nouveau gravement le vapeur. Deux jours plus tard, les Allemands reprirent l'assaut du pauvre éclopé mais leur attaque fut repoussée.

C'est le 23 octobre 1914 que le VON WISSMANN, bien décidé cette fois à en finir, revint à la charge. Il ouvrit le feu à 3.000 m sur le DELCOMMUNE, immobilisé et sans défense ; celui-ci touché d'une quarantaine d'obus fut mis définitivement hors service.

L'Allemand régnait maintenant en maitre absolu sur le Tanganyika. Non seulement, il jouissait d'une totale liberté de manœuvre qui lui permettait d'utiliser au maximum les énormes facilités du transport par eau, mais il obligeait en même temps les postes belges échelonnés tout au long de l'interminable lac frontière à rester continuellement sur le qui-vive, et il ne leur lais­sait pour leurs mouvements que les pistes étroites et sinueuses de la brousse africaine.

L'ennemi poursuivit donc ses raids et coups de main sur la rive belge et en janvier 1915 on vit opérer en plus du VON WISSMANN, deux remorqueurs de haute mer ainsi que le GRAF VON GOETZEN, de 700 tonnes et 65 m de long, armé de canons de 88 mm et filant 9 noeuds.

Cependant la situation militaire en Afrique Centrale allait évoluer. Le 20 janvier 1915, les gouvernements belge et anglais décident de faire collaborer leurs forces dans une action contre l'Est africain allemand, action qui devait être entreprise dès le mois d'avril.

Le Colonel Tombeur, qui devait diriger l'ensemble des opérations, démontra la nécessité de constituer au plus vite une flottille de petits bâtiments rapides et bien armés, et de reprendre aux Allemands la maîtrise du lac.

Mais de quelles unités pouvait disposer, en ce mois d'avril 1915, le Lieutenant Goor de la Marine de l'État, désigné au commandement de cette flottille encore à naître ? On ose à peine poser cette question tant la réponse est dérisoire ; peu importe, cela ne fait que rehausser les mérites de nos marins du Congo.
Une baleinière de 3 tonnes, la VEDETTE, propulsée par un moteur de ballon et armée d'une mitrailleuse faisait route de Léopoldville vers les lacs.
On travaillait hâtivement à remettre en état le pauvre ALEXANDRE DELCOMMUNE, toujours lui, et on espérait le voir reprendre le combat mais cette fois armé de deux canons de 3 pouces et sous le nom belliqueux de VENGEUR.

Il se trouvait toutefois encore à Stanleyville un chaland de 10 tonnes - on avait muni cette embarcation rectangulaire d'un avant et d'un arrière en pointe ; mû par un moteur à essence et armé d'une pièce de 57 mm, ce chaland ferait sensation à son arrivée sur le lac et entrerait dans l'Histoire sous le nom peu respectueux mais combien adéquat de MOSSELBAK.

Il y avait aussi la NETTA, un cruiser de 18 m, auquel trois moteurs de 75 CV donnaient une vitesse de 18 noeuds ; ce "glisseur", très apte aux reconnaissances, n'avait par contre que de piètres qualités offensives; sa légèreté ne lui autorisait qu'un canon de 37 mm, mais la NETTA était encore, non armée, à Léopoldville.
Enfin le "COMFLOT" comptait encore sur le BARON DHANIS dont la coque se trouvait à Kabalo... et les chaudières et machines à Anvers.

C'est vers la fin juin 1915 qu'arriva finalement à la Lukuga la chaloupe MOSSELBAK dont le Lieutenant Goor devait prendre le commandement.

Il était temps car les Allemands se faisaient de plus en plus agressifs; le VON GOETZEN avait bombardé Baraka le 30 juin et Uvira le 4 juillet; de son coté, le VON WISSMANN débarquait un commando dans la nuit du 6 au 7 juillet entre Albertville et Baudouinville et canonnait dans la journée le poste de Tembwe.

C'en était néanmoins fini pour la Marine Impériale de se livrer, sans coup férir, à des raids sur la rive belge du Tanganyika.
En effet, lorsque le 15 juillet le VON WISSMANN se présenta aux abords de la Kalemie, il fut aussitôt attaqué par notre MOSSELBAK, et préféra prendre la fuite. Le même scénario se reproduisit le lendemain à Bwana-Denge dont le VON WISSMANN était occupé à mitrailler le poste ; il s'esquiva dès que la chaloupe-canonnière lui fut signalée. Et le 30 juillet au large de m'Toa notre seule mais valeureuse unité vit une fois de plus le VON WISSMANN refuser le combat.

Cette fois, l'hégémonie allemande sur le lac Tanganyika avait vécu. Non seulement la Marine Impériale était maintenant tenue à distance de notre rive, mais elle allait être acculée à sa perte, après s'être maintes fois soustraite à la lutte.

C'est le 28 octobre 1915 qu'arrivèrent sur le lac les deux cruisers du Commander Spicer - Simson, de la Naval African Expedition. Armés d'un canon de 54 mm, ces canots filaient 14 noeuds mais ils devaient sans doute à leurs faibles dimensions leurs noms de caniches de salon MIMI et TOUTOU.
Avec l'arrivée de la NETTA le 15 novembre à la Lukuga, la flottille anglo-belge prenait de plus en plus d'importance. Mais il fallut quand même attendre la mi-décembre pour que les trois dernières unités fussent reconnues un tant soit peu opérationnelles.

Le 26 décembre 1915 vit le premier réel engagement entre les forces en présence et aussi la première perte pour les Allemands, celle du KINGANI, remorqueur de 25 tonnes et de 18 m, armé d'un canon de 37 mm et filant 10 noeuds.

Le Commandant Goor, sur son MOSSELBAK, s'était immédiatement porté à l'attaque du KINGANI, dont on venait de signaler la présence par le travers de M'Toa. Comme à l'habitude, le bâtiment ennemi tenta de rejoindre la rive allemande dès qu'il se vit pris en chasse ; trop tard : la souricière avait été montée, et bien tendue, car le Commander Simson avec ses MIMI et TOUTOU, que notre NETTA accompagnait, barrait au remorqueur le chemin de retour. Pris sous le feu des deux cruisers anglais, il ne tarda pas à amener ses couleurs.

Ce premier succès de la flottille alliée était d'importance car, outre le fait que la Marine Impériale enregistrait la perte du KINGANI, ce remorqueur, après réparations, allait renforcer la Naval African Expédition sous le nom de FIFI.

C'est le 9 février 1916 que se produisit le second engagement entre les deux flottilles adverses, action qui mit un terme à la carrière de "raider" de l'HEDWIG VON WISSMANN. Celui-ci qui avait été aperçu au large de M'Toa, endroit funeste pour les Allemands, fut aussitôt attaqué par toutes les unités disponibles de la flottille alliée : Le FIFI (ex KINGANI) sur lequel se trouvaient le Commander Simpson et le Commandant Goor, le MIMI et la VEDETTE, ainsi que le MOSSELBAK. Rattrapé après une poursuite de trois heures, le VON WISSMANN devait rapidement couler bas sous la précision des coups que les nôtres lui portaient.
Il fut assez piquant d'apprendre par la suite que le VON WISSMANN avait eu pour mission ce jour-là de provoquer la flottille alliée et de la ramener vers le VON GOETZEN dont les pièces de 88 mm n'auraient fait qu'une bouchée. Malheureusement pour le VON WISSMANN le VON GOETZEN fut en retard au rendez-vous.

L'échec pour les Allemands était considérable. Certes, il leur restait le fameux VON GOETZEN, avec lequel aucune des unités de la flottille ne pouvait se mesurer, à moins d'être couverte par les pièces de gros calibre d'un fort de la rive belge. La seule unité capable d'affronter le bâtiment allemand était le BARON DHANIS mais celui-ci était loin d'être terminé, même en ce mois de mars 1916 où les Allemands armaient à Kigoma le WAMI, sistership de l'ex KINGANI, tandis que nous devions désarmer notre glorieux MOSSELBAK.

Mais c'est à cette époque aussi que notre flottille se vit renforcée par la constitution d'une escadrille de quatre hydravions et par la remise en service du vieil ALEXANDRE DELCOMMUNE, enfin restauré et bien décidé à faire valoir son nouveau nom de VENGEUR.

En fait, ce dernier se contenta d'abord d'assurer des transports de troupes et de matériel; il convoya ensuite les hydravions en vol, surtout à partir d'avril 1916 qui marqua le début des opérations terrestres contre l'Est Africain Allemand.
Cependant à présent, juste retour des choses, ce sont nos unités qui se livrent à des raids sur la rive allemande du Tanganyika. Ainsi en mai la NETTA coupe la ligne télégraphique Bismarckburg-UjIjI et bombarde le poste de Kibwesi. Le 17 de ce mois, escortant un convoi formé du VENGEUR et du FIFI, la NETTA envoie au passage deux obus sur la base de Kigoma, question d'en reconnaître les défenses.

A la fin du mois de mai 1916 se plaça un incident d'autant plus regrettable que rien de sérieux ne le justifiait : suite à une querelle d'état-major avec des autorités militaires belges le Commander Simson décida de ne plus participer conjointement avec nos unités navales, à des opérations sur le Tanganyika; il alla jusqu'à faire quitter à ses bâtiments la base de la Kalemie pour les transférer à la pointe méridionale du lac, à Sumbu.

Le Commandant Goor, avec le VENGEUR, avait tenu à accompagner les MIMI, TOUTOU et FIFI jusqu'à leur nouvelle base, et c'est avec une tristesse mêlée de l''amertume qu'on devine qu'il fit ses adieux à la Naval Africain Expédition et au Commander Simson, son fidèle compagnon d'armes. Miné par le climat et la fatigue le Commandant Goor devait bientôt remettre le com­mandement de la flottille au Lieutenant Corbisier.

Il importait encore de mettre le VON GOETZEN hors d'état de nuire. Puisqu'il se refusait maintenant à toute sortie, il fallait aller le détruire dans son repaire de Kigoma. Notre "aéronavale" s'en chargerait.

Le 7 juin 1916, un premier hydravion partit à l'attaque mais une avarie de moteur l'obligea à amerrir avant le but : le VENGEUR qui le convoyait put toutefois le prendre en remorque. Une seconde tentative eut lieu le 10 juin ; touché d'une bombe, le VON GOETZEN fut gravement endommagé; la présence du VENGEUR permit de récupérer l'hydravion qu'une panne avait, une fois de plus, contraint à l'amerrissage. Un troisième raid effectué le 30 juin mit définitivement le VON GOETZEN hors de combat.

Missions de bombardement, de liaison, de reconnaissance et de transport se succédèrent pendant tout le mois de juillet pour le VENGEUR, la NETTA et le remorqueur TANGANIKA, nouveau venu à la flottille, laquelle soutenait de son mieux l'avance du Corps Expéditionnaire belge vers Kigoma.

Le troisième et dernier engagement sur le lac se produisit le 21 juillet 1916. La NETTA qui avait surpris le WAMI à son mouillage de Bukele l'attaqua avec tant de décision que le bâtiment allemand, dernier survivant de la Marine Impériale, ne tarda pas à se saborder.

                               


 

                         

 

                          

 

                          

 

Le KINGANI coule le 26 déc. 1915 alors que, prise de guerre, il était ramené vers la Lukuga. Renfloué et naviguant sous pavillon britannique sous le nom de FIFI, armé de deux canons de 3" dont le VENGEUR n'a provisoirement pas l'usage... il participera â la destruction de son ancien frère d'armes, l'HEDWIG von WISSMAN.

Le 17, le 18 ou le 19 novembre 1916, le BARON DHANIS rallie enfin à Kigoma la flottille et les troupes victorieuses. Cependant, à l'heure où, pratiquement invulnérable, le HEDWIG von WISSMAN écumait le lac, le brave BARON suggérait encore une pirogue d'apparat, les avirons mâtés.

 

                                       

 

                              

 

 

Il avait ainsi fallu deux longues années pour débarrasser le lac Tanganika de la pré­sence d'unités ennemies : ce fut au prix de durs efforts, que la pauvreté du matériel ren­dait encore plus pénibles, mais dont le cou­rage des nôtres se riait.

La base allemande de Kigoma tomba le 31 juillet 1916 aux mains des troupes belges qui descendaient du Nord. On décida d'acti­ver les choses et, par l'occupation de cer­tains points de la rive orientale du Tanganyika, de venir en aide aux troupes rhodésiennes qui elles, remontaient du Sud. La flottille qui avait d'importantes missions de transport à assurer ne put détacher que le VENGEUR pour les différents raids à exécuter; il s'en acquitta d'ailleurs fort bien.

Le 7 août, après un court bombardement qui n'avait suscité aucune riposte, le VENGEUR débarquait une compagnie qui devait s'emparer de Karema sans y rencontrer de résistance. D'autres postes allemands furent occupés de la même manière. La prise de Kibwesi le 11 août 1916 marqua la fin de l'activité allemande sur la Tanganyika; elle fut aussi la dernière mission de guerre du VENGEUR.

Désormais, la flottille, que le BARON DHANIS devait enfin rallier le 19 novembre, allait se consacrer entièrement à des opérations de liaison et de transport entre les deux rives du lac jusqu'à ce que la prise de Mahenge, en octobre 1917, signifiât pour les Allemands non seulement la fin de leur rêve de pénétration en Afrique Centrale mais aussi l'écroulement de leur empire colonial.

Comme Louis Leconte l'a raconté dans son ouvrage : "Les Ancêtres de notre Force Navale", œuvre qui a fourni la matière à cet écrit, nous emprunterons en guise de conclusion l'appréciation que le Commander Spicer - Simson a formulée à propos du MOSSELBAK, mais qui est tout aussi valable pour les autres unités : "L'embarcation ne valait rien, le moteur pas grand-chose, l'artillerie moins que le reste, seulement les hommes qui l'armaient étaient des hommes".

 

Neptunus

 

 

 

 

 

ajxmenu1