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Activité navale belge 1914/1918    

 

j. Verheyen


La « section belge » d'aérostation navale de la Marine Nationale Française.

Peu de Belges savent qu'il exista, au cours de la guerre 1914/1918, une section belge d'aérostation navale au sein de la Marine Nationale Française. Par contre, beaucoup de Belges connaissent le regretté Député Ernest DEMUYTER , l'aéronaute légendaire qui rapporta à la Belgique six victoires dans la fameuse coupe Gordon-Bennett (dont la dernière au départ de Bruxelles en 1937). Il s'agissait de parcourir en ballon libre la distance la plus longue possible, durant des jours et des nuits, à des altitudes qui atteignaient parfois 7000 mètres avec une température de moins 20 degrés. Les atterrissages se faisaient souvent dans des conditions difficiles, dans des régions sauvages des Carpathes, de Russie ou des pays baltes.

Bref, il fallait être un fameux sportif pour le faire et surtout être un savant en météo pour profiter des vents favorables en variant de hauteur.

Les victoires dans la Coupe Gordon-Bennett (dont une fut acquise définitivement à la Belgique après trois victoires consécutives) furent remportées après la guerre 1914/1918. J'aurais aimé pouvoir interviewer pour vous Ernest DEMUYTER comme je l'ai fait avec le Commandant G. GOOR. Malheureusement, Ernest DEMUYTER n'est plus. Né à Gand le 26 mars 1893, il mourut à Ixelles le 7 février 1963.

Notons ici, pour ne pas l'oublier, qu'Ernest DEMUYTER fut toute sa vie un ardent défenseur de la marine belge tant marchande que militaire. C'était l'époque du Corps des Torpilleurs et Marins. Il a transmis cette vocation à son fils et une unité de notre Force Navale pourrait porter son nom.

 

   Heureusement pour nous, il nous a laissé deux livres qui relatent ses exploits. Ils sont très détaillés et très bien illustrés. Il s'agit du livre « Les randonnées victorieuses du BELGICA » édité par l'Extension Belge vers le Levant en 1925 et du livre « BELGICA » édité en 1958 aux Éditions France-Empire. Ce dernier livre relate vraiment toute la carrière d'Ernest DEMUYTER. Nous ne saurions assez en conseiller la lecture à ceux que la chose intéresse.

Nous devons à l'amabilité de Monsieur le Sénateur Albert DEMUYTER, qui conserve la pieuse mémoire de son père et qui est un ancien volontaire de guerre de la Section Belge de la Royal Navy, d'avoir pu disposer de la documentation nécessaire et d'obtenir l'autorisation de reproduire les clichés qui nous convenaient. Qu'il en soit remercié ici.

Une petite déception nous attendait cependant lorsque nous nous sommes jetés avidement sur ces ouvrages. Les héros sont modestes et dans chaque livre, le chapitre consacré à la guerre 1914/1918 est fort bref. Nous avons pu compléter heureusement la documentation par un article écrit par Ernest DEMUYTER au lendemain même de la guerre.

Ernest DEMUYTER fut attiré dès sa jeunesse par la navigation aérienne. Il obtint, par ses propres moyens et au prix de nombreuses difficultés, son brevet de pilote de ballon libre. En 1912, il obtient également son brevet d'aviateur (ce qui était bien rare à l'époque).

Lorsqu'éclate la guerre 1914, il va directement s'engager comme volontaire au corps des aérostiers militaires du Génie (corps qui fut longtemps cantonné à Zellik). Il est affecté à une section de ballons captifs chargés de l'observation pour la position fortifiée de Liège. Il passe ensuite à l'Aéronautique Militaire (corps qui dépendait encore à cette époque du Génie). Il est affecté à l'aviation d'observation et participe à la défense de Namur, doit faire retraite en France et revient à Anvers avec du nouveau matériel. Il participe alors à la défense de la place d'Anvers. Dans la suite, il sera grièvement blessé et inapte au service pendant tout un temps.

                             

1917 ! Les Allemands déclenchent la guerre sous-marine à outrance, les pertes des flottes alliées sont terribles. Les Alliés réagissent à cette menace. Ils le font de plusieurs façons notamment par la mise en œuvre de chalutiers armés dont nous reparlerons car nos marins belges s'y sont distingués. La Marine Française lance l'usage du dirigeable de marine. Cette initiative va être couronnée de succès. En effet, si le dirigeable obtient rarement un succès direct contre un sous-marin ennemi, il se révèle un terrible moyen d'intimidation. Lorsqu'il escorte un convoi de navires marchands, il peut, du haut du ciel, repérer le sous-marin en plongée et signaler sa position aux navires d'escorte. Il peut également l'attaquer à la bombe mais, comme nous l'avons dit, les coups au but furent rares. Bien entendu, le dirigeable de marine n'est pas à l'abri de tout risque. Il peut courir des risques accidentels (explosion, incendie), des risques dus aux conditions météorologiques et rarement des risques dus à l'action directe de l'ennemi. On a pu affirmer qu'il s'est révélé très rare qu'un convoi protégé par un dirigeable ait été attaqué par un sous-marin ennemi.

On travaille activement et bientôt les côtes françaises et anglaises se couvrent d'un réseau de bases de dirigeables. A l'Armistice, la France compte dix bases plus une remise à la Marine des États-Unis. Les Américains s'étaient enthousiasmés pour cette arme nouvelle à laquelle ils sont restés très longtemps fidèles dans la suite. L'Angleterre comptait 19 bases. L'Empire Allemand disposait de 53 bases (14 de la marine et 39 de l'armée). A la différence des Alliés qui utilisaient des dirigeables souples, les Allemands utilisaient le dirigeable à armature rigide ZEPPELIN. Les Zeppelins n'étaient pas utilisés uniquement pour la protection côtière mais souvent pour des missions de reconnaissance et de bombardement à longue distance, missions qui se sont souvent soldées par des échecs.

Mais revenons à nos dirigeables de marine. Les deux types les plus répandus dans la Marine Française étaient la Vedette « ZODIAC » de 3000 m3 et I'« ASTRA « de 7.000/8.000 ou 10.000 m3. La Vedette « ZODIAC » qui va nous intéresser plus particulièrement était propulsée par deux moteurs Renault de 25 c.v. attachés de chaque côté de la nacelle qui était équipée de quelques bombes, d'une mitrailleuse et de la radio pour le contact avec la base et les navires d'escorte.

Une base comptait au moins deux dirigeables, une station de radio, une centrale de production d'hydrogène, un service météo et des logements indispensables aux officiers et marins.

 

Pourquoi avons nous insisté sur la « VEDETTE ZODIAC « ? Tout simplement parce que c'est un de ces engins qui nous servira de section belge. Il y avait depuis avant la guerre, au Corps des Aérostiers du Génie, un dirigeable, le « BELGIQUE III «. Ce brave dirigeable fut évacué sur Anvers où il resta sans utilisation durant tout le siège (il n'était donc pas gonflé). Vient la terrible retraite d'Anvers sur l'Yser dans des conditions épouvantables. L'autorité militaire décide de ne pas s'encombrer d'hommes ou de matériel inutiles. C'est ainsi que les troupes territoriales reçoivent purement et simplement l'ordre d'aller se faire interner en Hollande. Quant à l'enveloppe du « BELGIQUE III «, on décide de l'abandonner sur place. Mais le pilote du dirigeable, le Colonel SOUCY, ne l'entendit pas de cette oreille. Il mena un tel tapage à l'État-Major qu'il obtint l'évacuation de son cher aéronef. Celui-ci s'en fut donc languir dans un dépôt en France. En 1917, on se souvient de lui. Grâce à ses caractéristiques, il put facilement être converti par la Marine Nationale en une « VEDETTE ZODIAC » et prit l'immatriculation V.Z.5. Le Colonel SOUCY et le Lieutenant DEMUYTER, entretemps rétabli, furent détachés à la Marine Nationale pour fournir l'équipage du V.Z.5. C'est ainsi qu'ils partirent un beau jour de 1917 rejoindre leur base, Rochefort-sur-Mer. Quelle est donc cette localité de Rochefort-sur-Mer ? C'est une ville de plus de 30.000 habitants située non pas sur la mer mais à 17 kilomètres de celle-ci à l'estuaire du fleuve Charente. La ville est d'ailleurs le chef-lieu du département de la Charente Maritime. La ville doit sa prospérité à Colbert lui-même, le grand Colbert, ce véritable père de la Marine Française. En 1666, pleine époque des conquêtes de Louis XIV, Colbert se démène pour renforcer la Marine du Roy. Pour avoir une marine, il faut des bases sûres. Colbert jette son dévolu sur Rochefort-sur-Mer. Cette ville bien abritée à 17 kilomètres de la côte va devenir une base navale importante avec chantiers de constructions et de réparations navales, arsenal etc. Les navires peuvent aisément remonter le fleuve dont l'estuaire est difficile d'accès entre l'île de Ré au nord et l'île d'Oléron au sud. Ces deux îles sont séparées à hauteur de l'estuaire par des eaux où il existe certains bancs. L'accès n'est donc pas facile pour un étranger. De plus, l'estuaire sera protégé par toute une série de forts.

Ainsi la base est à l'abri de tout coup de main par surprise. C'est ce que l'on recherchait surtout alors. La base demeurera très active durant deux siècles soit jusqu'au second empire. Elle sera aussi active que Brest et Toulon. Au bout de deux siècles, la base commence à décliner tout simplement parce que les navires de guerre prennent de plus en plus de tonnage et ne peuvent plus aisément remonter le fleuve Charente. Durant ces deux siècles, de nombreuses familles de marins viennent s'installer à Rochefort-sur-Mer. Aussi, il n'est pas étonnant que la ville va devenir la patrie natale d'hommes de mer célèbres. Citons Pierre LOTI dont les émouvants récits nous ont fait pleurer quand nous étions gosses, l'amiral de la Galissonnière, dont une unité de la Marine Nationale porte presque toujours le nom, l'amiral de Latouche-Tréville.
Actuellement, la ville est le siège de l'École Technique de l'Armée de l'Air Française, d'une industrie aéronautique importante et de différentes autres industries. Ces industries maintiennent une certaine activité au port. Deux faits récents prouvent encore l'importance de celui-ci. A la Libération, d'importantes troupes allemands se laissèrent encercler par des troupes françaises et ne se rendirent qu'au jour de la capitulation générale, le 8 mai 1945. Ce système de défense qui fut pratiqué dans plusieurs ports avait pour but d'empêcher les Alliés de s'en servir. Après la guerre, l'arsenal fut mis à la disposition de l'O.T.A.N. et de l'Armée des États-Unis jusqu'au jour de 1967 où l'O.T.A.N. et l'U.S. Army durent quitter la France et vinrent s'installer en Belgique.
Arrivés sur place, le Colonel SOUCY et le Lieutenant DEMUYTER durent s'initier au pilotage des dirigeables. Cela ne posa aucun problème à notre ami qui dès septembre 1917 recevait déjà son brevet de pilote de dirigeable. Il possédait ainsi trois brevets, ballon libre, aviation et dirigeable. Bien mieux, il devint à son tour instructeur du personnel français. Ce furent, à partir de cette époque et jusqu'à l'Armistice, des journées bien remplies. Aucune activité ne semble avoir été exercée la nuit. Par contre, on partait le plus tôt possible pour rentrer le plus tard possible. Certaines patrouilles durèrent jusqu'à douze heures. Des distances de 450 à 600 kilomètres étaient parcourues sur la journée. DEMUYTER eut également l'occasion d'être affecté parfois au service de la météo où il pouvait faire preuve de tous ses talents en la matière.

Les missions se répartissaient plus ou moins en deux catégories : d'une part, l'escorte des convois, d'autre part les patrouilles pour surveiller la mer, repérer et détruire des mines etc.

Et voilà la section belge, deux hommes et un petit dirigeable mais ils ont fait du bon travail qui fut très apprécié par les Français et ils ont fait honneur à nos couleurs.

A l'Armistice, le Colonel SOUCY et le Lieutenant DEMUYTER proposent de ramemer le « BELGIOUE III V.Z.5. » en Belgique par la voie des airs. L'autorité navale française donne immédiatement son accord mais l'autorité belge ne donne pas suite à cette offre aimable. DEMUYTER resta encore détaché à la Marine Française jusqu'en juin 1919. Entretemps, il avait eu l'occasion de prendre sa petite revanche sur le refus du retour en dirigeable. Le 15 janvier 1919, vers 16 heures, il quitte en sphérique Rochefort-sur-Mer. Il emmène avec lui cinq élèves de la Marine Française. Vers deux heures du matin, il touche terre au sud de Liège après avoir parcouru 800 kilomètres en dix heures. A certains moments la vitesse était de près de 100 kilomètres à l'heure.
Encore un mot, pour terminer, au sujet du nom « BELGICA » donné par DEMUYTER à tous ses sphériques. Nous l'avons dit, DEMUYTER fut toute sa vie un défenseur acharné de la marine marchande et militaire belge. Tout jeune, il avait été enthousiasmé par l'extraordinaire aventure du « BELGICA » qui en 1897 et 1898 hiverna pour la première fois dans la banquise australe sous les ordres d'Adrien de Gerlache de Gomery et de Georges Lecointe. Le vaillant petit navire n'eut pas le sort qu'il méritait. Au retour de l'Antarctique, de Gerlache avait offert son bateau à l'État belge espérant qu'il serait pieusement conservé pour l'édification des générations futures. Il en est ainsi par exemple à Oslo du « FRAM » de Nansen. Malheureusement, de ce temps là, en Belgique si indifférente aux questions de la mer, on n'en était pas encore à l'époque où l'on conserve pieusement le « MERCATOR ». Le vaillant petit phoquier fut laissé à l'abandon. Ce que voyant, de Gerlache le reprit et le revendit en Norvège où il l'avait acheté. « Non habebis ossa eyus ingrate patria » comme a fait graver sur la pierre tombale de l'église Saint Jacques à Tournai un français refugié lors de la révolution et qui dut enterrer son père, membre du Conseil du Roy, mort en exil.

Cette similitude de nom entre le navire et le sphérique, on serait tenté de croire qu'elle est à la base d'une similitude de sort. En effet, le ballon et le navire devaient périr tous les deux au début de la guerre 39/45 et ce par fait de guerre.

Le ballon mourut le premier. En 1938 _la coupe Gordon-Bennett était partie à nouveau de Belgique puisque DEMUYTER avait gagné en 1937 déjà, au départ de Bruxelles également.
Cette fois, en 1938, c'est la Capitaine JANUTZ de I ‘Aéronautique Militaire Polonaise qui gagne. C'était une victoire bien méritée car il prenait part à la course depuis plusieurs années et se classait toujours bien. Le départ de 1939 doit donc avoir lieu en Pologne. Il est fixé au 3 septembre à Lwow. Mais l'horizon international est sombre, la guerre est à la porte. DEMUYTER s'embarque cependant avec son « BELGICA » sur un navire polonais faisant Anvers-Gdynia. A I ‘arrivée à Gdynia, le consul de Belgique déconseille déjà la course d'autant plus que DEMUYTER est accompagné de sa famille. DEMUYTER décide de continuer puisque l'Aéro-Club de Pologne n'a pas encore pris la décision d'annuler la course. Le matériel est transporté à Lwow où on commence à le mettre en état avec l'aide de l'Aéronautique Militaire Polonaise. Les nouvelles sont mauvaises. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre, l'armée allemande envahit la Pologne tandis que la Luftwaffe attaque les aérodromes. Il n'est pas question de course Gordon-Bennett. Le ministre de la Belgique à Varsovie télégraphie le jour même, à DEMUYTER. «Quittez la Pologne au plus vite». Facile à dire, mais le ballon ? Trois solution sont possibles, ou bien, le laisser aux-bons soins du vice-consul de Belgique à Lwow, ou bien trouver un camion pour le transporter en Roumanie ou en Hongrie, ou bien le confier à l'Aéronautique Militaire Polonaise qui s'offre à en prendre soin. Vu l'état de la situation, c'est cette dernière solution qui est adoptée et le ballon et son matériel partent vers le dépôt de Jablona, au nord de Varsovie. Admirons au passage la naïveté optimiste du moment où l'on croit encore pouvoir stopper l'avance allemande, Varsovie sera détruite, Jablona également et les ballons aussi.
Le bateau mourut le second. Depuis qu'il battait à nouveau pavillon norvégien, il avait subi bien des vicissitudes et au printemps de 1940, nous le retrouvons comme ponton à charbon aux îles Lofoten. Lors de la malheureuse expédition franco-britannique contre Narvik, il fut coulé.
Terminons par une note plus optimiste. Depuis, la Belgique a racheté son ingratitude à l'égard du « BELGICA » et ceci grâce à notre Force Navale. En effet, les noms d'Adrien de Gerlache et de Georges Lecointe ont été donnés à deux de nos unités.

Neptunus 143  1973-1974

 

                                                                              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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