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                    Le port franc d'Ostende (II)   

 

 

 
Résultant de ce regain d'activités commerciales, la population s'accrut au point qu'une partie des remparts vers l'intérieur dut être rasée et les fossés comblés afin d'étendre les limites de la ville. Un décret du 3 mai 1781 avait déjà assuré toutes espèces de facilités aux constructeurs de maisons nouvelles. Le 18 mars 1782, ces facilités furent accrues. De nouveaux quartiers furent aménagés de part et d'autre du bassin. Le port fut considérablement agrandi par la construction d'un nouveau bassin. Le service du pilotage et la police furent réorganisés. Une école de navigation fut créée à Bruges et dès le mois de janvier 1782, une bourse fut installée dans la maison communale 27. Au cours de sa tournée dans les Pays-Bas autrichiens du 31 mai au 27 juillet 1781, l'empereur Joseph II eut l'attention attirée par les avantages qui naîtraient pour Ostende du libre exercice du protestantisme. Liant pragmatisme et considérations philosophiques, il étendit dès le 12 novembre 1781 aux Pays-Bas autrichiens le Toleranzpatent d'octobre 1781.

     Deux tiers des vaisseaux naviguant sous pavillon impérial auraient en fait appartenu à des Français, des Anglais ou des Hollandais 29. Une partie significative des négociants français et anglais avaient déjà déplacé leurs activités en 1778 de Dunkerque à la Zélande et plus particulièrement à Flessingue où ils pouvaient écouler des cargaisons de produits coloniaux et se fournir en genièvre. Au début de la quatrième guerre anglo-néerlandaise, ces derniers utilisèrent alors Ostende comme une plaque tournante de leurs affaires commerciales.
Le traité de Versailles du 3 septembre 1783 marqua la fin de la neutralité des Pays- Bas autrichiens et réduisit par conséquent les activités commerciales d'Ostende. Pour le conseiller des Finances Delplancq la situation était sans appel : nous n'avons ni assez de consommation pour alimenter le grand commerce d'importation ni assez d'industrie pour alimenter un grand commerce d'exportation.
En outre, les négociants n'avaient pas assez de correspondances dans la plupart des contrées de l'Europe et le pays manquait de navires et de marins autochtones1. Privée de ses deux débouchés hollandais sur le continent, l'Angleterre voyait d'un mauvais oeil le rapprochement de la France et des Provinces-Unies. Elle utilisa la question
de l'ouverture de l'Escaut pour opposer la Hollande aux Pays-Bas méridionaux, et mettre la cour de France dans l'embarras à l'égard de son alliée, l'Autriche. Les diplomates anglais firent entendre à leurs homologues autrichiens qu'ils ne verraient pas d'objections aux revendications de l'Autriche envers les Provinces-Unies.
La Hollande était à ce moment affaiblie par des luttes intestines et obligée de subvenir aux besoins d'une guerre coûteuse. L'occasion de se relever commercialement paraissait unique pour les Pays-Bas méridionaux. Non seulement cette question fut étudiée et débattue à Vienne, mais Anvers pris la tête du mouvement populaire qui se dessina à cette époque dans le Brabant en faveur de l'affranchissement de l'Escaut.
Le port d'Anvers était en effet considéré comme un port plus approprié que celui d'Ostende sujet à un perpétuel ensablement de son chenal.
Joseph II avait tout d'abord différé l'exécution de ses plans contre les Provinces- Unies jusqu'après la signature de la paix définitive entre la France et l'Angleterre.

Disposé à se désister de ses droits sur Maastricht, l'empereur tenta dans un premier temps la négociation afin de forcer l'embouchure de l'Escaut. Mais devant les atermoiements des Etats généraux, il leur lança un ultimatum (1784). La question de la liberté de l'Escaut prit alors une dimension européenne de par la confrontation entre la notion de traité et de « droit naturel ». Ajouté à la question de principe de la liberté des mers et des fleuves, ce débat suscita l'attention des publicistes et gens de loi de tous les pays, pas moins que celle des hommes politiques. C'est alors que l'on vit éclore en Europe une véritable « littérature » sous forme de pamphlets ou de dissertations théoriques sur la justice et le bien-fondé des revendications de l'Autriche ou des Provinces-Unies. L'opinion publique eut à prendre parti pour l'un ou l'autre des adversaires, comme les cours elles-mêmes.
L'empereur avait besoin de l'acquiescement de la France pour arriver à ses fins. Mais le cabinet français dirigé par Vergennes, peu favorable au renforcement de l'Autriche, n'entendait en aucune façon appuyer les revendications intéressées de la cour de Vienne. Conseillant d'abord la modération à l'empereur, la diplomatie française fit entendre aux Autrichiens que le roi lui-même ne pourrait « se dispenser d'assembler des troupes sur la frontière ». Après un pathétique baroud d'honneur sur l'Escaut surnommé « guerre de la Marmite », l'empereur en fut pour ses frais et dut se contenter de quelques concessions des Provinces-Unies sur les forts de la Barrière lors du traité de Fontainebleau du 8 novembre 1785. Les Pays-Bas autrichiens devaient à nouveau se résigner à oublier leurs rêves coloniaux. L'attitude de Joseph II pouvait être également interprétée comme une façon de décider la France à faire pression sur l'électeur Palatin et à rendre ainsi possible l'échange des Pays-Bas méridionaux contre la Bavière. L'échec de la tentative de Joseph II de rouvrir l'Escaut se greffait sur le sentiment de méfiance des habitants des Pays-Bas à l'égard de Vienne accusée de ne considérer leurs provinces que comme une simple monnaie d'échange. Evoqué à plusieurs reprises au cours du XVIIIe siècle, ce troc aurait permis à la maison de Habsbourg d'agrandir son domaine et d'assurer l'unité territoriale de ses pays héréditaires, tout en se débarrassant d'une possession éloignée, difficile à défendre et toujours peu sûre par suite du voisinage de la France.
Il devait en résulter une concentration de forces permettant de mieux défendre le coeur de l'empire contre l'ennemi traditionnel, le roi de Prusse.

A ce moment, le ralentissement économique qui devait nécessairement suivre la prospérité momentanée provoquée par la guerre d'indépendance américaine commença à se manifester. En quelques mois, le port d'Ostende se vida des bateaux qui l'encombraient et les manufactures encaissèrent difficilement le reflux économique qui entraîna, entre autres, l'importante maison Proli vers la faillite. Parallèlement l'Angleterre et la France scellèrent un traité commercial dit traité d'Eden qui eut l'effet désastreux de fermer au transit plusieurs routes du côté de la frontière française.
Même si l'empereur Joseph II gardait à l'idée de faire de l'ensemble des Pays-Bas autrichiens une vaste zone de libre-échange 38, les droits des douanes furent alourdis afin de récupérer les recettes du transit et d'apaiser les plaintes des fabricants. Mais aussitôt le coût de la vie renchérit et le peuple protesta avec d'autant plus d'énergie
que le travail se faisait rare. La déception du monde du négoce belge rapprocha les démocrates des strates conservatrices de la société qui s'étaient déjà opposées au régime habsbourgeois au cours de la « petite révolution brabançonne » de 1787. L'association secrète Pro Aris et Focis se mit en devoir, durant l'été 1789, de propager le mot d'ordre parmi « des personnes de tout rang et condition ». Vonck fit imprimer et réimprimer trois ou quatre fois la quatrième lettre du comte de Mirabeau sur la liberté de l'Escaut qui avait contribué à le décider à passer à l'organisation militaire de la révolution. L'économiste français y déclarait : La Nation Belgique doit employer ses propres forces pour se soustraire au joug autrichien et se rendre indépendante ; cela étant fait, il sera temps alors de penser à des alliances à contracter.
Le développement fulgurant du port d'Ostende durant la guerre d'indépendance et son ralentissement après le traité de Versailles relançant les revendications des Pays- Bas autrichiens sur la réouverture de l'Escaut ne fut pas sans effet sur le cours des évènements dans les Provinces-Unies. En effet, les rebondissements de la politique néerlandaise furent intimement liés à la question de la relance du commerce extérieur et furent, entre autres, marqués par l'éloignement du fidèle conseiller de Guillaume d'Orange, le duc de Brunswick, suite à l'affront fait par Joseph II de revendiquer à la fois Maastricht, le retrait des troupes hollandaises des places de la Barrière, et surtout la réouverture de l'Escaut Le stadhouder se replia l'année suivante sur la Gueldre qui, comme la Frise et la Zélande, lui était restée fidèle.
La question de la réouverture de l'Escaut produisit également des dégâts collatéraux en France, laquelle était diplomatiquement mise en porte-à-faux par son double système d'alliance et dut intervenir financièrement pour éteindre le conflit entre l'Autriche et les Provinces-Unies. En effet, Joseph II voulait faire inscrire dans le traité de Fontainebleau que dix millions de florins couvrant les dommages provoqués dans les provinces belges par la rupture des digues hollandaises devaient être versés par les Provinces-Unies. Réticentes à s'exécuter, celles-ci n'en offrirent que huit et Louis XVI accepta d'acheter la paix européenne en versant le complément à son beau-frère, l'empereur d'Autriche. L'opinion publique française fut choquée de cette transaction dont son pays, qui n'était en rien partie prenante, faisait les frais. Dans une France plombée par son endettement et dont le pouvoir royal était miné à la fois par le parti anglomane et par le parti conservateur réticent aux réformes de Joseph II, la reine Marie-Antoinette, l'« Autrichienne », la « dépensière » fut pointée comme la responsable de cet arrangement défavorable au Trésor. Cet épisode préfigure en quelque sorte l'affaire du collier.
Alors presqu'île, Ostende nous semble illustrer de façon éloquente le statut particulier des Pays-Bas autrichiens aux yeux du pouvoir central habsbourgeois.

Possessions excentrées et exigeant, pour être gouvernées, le consentement des multiples composantes de leurs villes et provinces, ces terres d'empire avaient pu bénéficier dans un premier temps d'une certaine autonomie afin de se défendre, si possible par leurs propres moyens, contre toute menace extérieure. Le rapprochement de la France et de la maison de Habsbourg suite à la guerre de succession d'Autriche incita les autorités habsbourgeoises à y mener une politique persévérante visant à contourner les particularismes et à mettre en place, entre autres, une politique d'intégration économique commune à l'ensemble des provinces. Dans ces territoires éloignés des Pays héréditaires, l'empereur Joseph II tenta même, comme à Ostende, d'audacieuses
expérimentations économiques. La guerre d'indépendance américaine constitue un des moments historiques où le conjoncturel croise le structurel. La nouvelle donne que représenta ce conflit entraîna pour le monde du négoce des Pays-Bas autrichiens un effet d'accélération, voire d'emballement. Dans cette optique, l'affranchissement du port d'Ostende nous apparaît également comme un des éléments permettant de comprendre l'enchaînement des évènements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle dans les Pays-Bas autrichiens. La frustration qu'avait engendrée l'espoir déçu de détrôner le monopole maritime de l'Angleterre contribua à ce que l'élite montante des négociants-manufacturiers remette en cause, voire s'oppose au souverain.

                                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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