Leopold II - les Belges - exploration du Congo
Nous ne ferons pas l'injure à nos lecteurs de retracer minutieusement l'action de Léopold II au Congo. Nous savons tous avec quelle patience, quelles ressources diplomatiques, quel esprit d'envergure, le grand monarque créa de toutes pièces cette colonie dont il avait deviné l'énorme potentiel économique. Contentons-nous de parler des hommes qui s'aventurèrent dans ce pays inconnu et dont, hélas bien peu de Belges connaissent l'existence sinon par quelques monuments ou encore que leur nom ait été donné à des rues de nos villes.
Cependant, une synthèse des événements s'avère nécessaire.
En 1855, Léopold II précise ses buts, son idéal : "Je percerai les ténèbres de la barbarie et j'assurerai les bienfaits d'un gouvernement civilisateur à l'Afrique Centrale. Ce travail, je le ferai seul s'il le faut".
Septembre 1876, réunion d'une conférence géographique internationale.
Une association internationale africaine est créée. Ses buts : exploration méthodique de l'Afrique et lutte anti-esclavagiste.
Léopold II entre en contact avec un officier de la Marine nationale française, l'enseigne de vaisseau comte Savorgnan de Brazza. Ce dernier, malgré le peu de compréhension du gouvernement français, refuse. Cet officier d'origine romaine reste sourd aux propositions de Léopold II. Et le monarque de lui dire songeur : "Est-ce possible que ces minces galons soient un obstacle à la magnifique carrière que je vous ouvre...?". Stanley offre l'Afrique à la Couronne. Le gouvernement britannique y prête peu d'attention.
Léopold II convoque Stanley et ce dernier est conquis par le souverain. Il faut désormais explorer cet immense territoire, qui couvre 3.700.000 km2. Il faut dompter ce fleuve long de 4640 km. et dont l'estuaire s'ouvre sur des fonds de 400 mètres ; n'est-il pas, en dépit de son cours tumultueux, le plus régulier d'Afrique car ses affluents situés de part et d'autre de l'Équateur lui assurent un débit constant par le régime des saisons humides. Ces affluents que Stanley a croisés dans son périple permettent l'instauration d'un réseau de voies navigables de plus de 6.000 km.
Cette voie d'accès, Stanley doit la reconnaître et y faire flotter le pavillon de l'Association Internationale Africaine.
Stanley prépare minutieusement son expédition. Il faut contourner les monts de Cristal. Stanley se rend à Seraing et visite les chantiers Cockerill. Le 20 décembre 1878, il adresse à Monsieur Charlier, Secrétaire de la Société Cockerill la lettre reproduite ci-après.
Le 15 février 1879 est passée la commande des vapeurs suivants :
"La Belgique", steamer à 2 hélices en acier de 19,80 m de long sur 3,50 de large, pourvu de deux machines à haute pression d'une force de 25 chevaux. "En Avant", embarcation à roues à aubes fixés d'une longueur de 12,20 m, large de 2,40 m portant une machine à haute pression de 6 chevaux.
"L'Espérance", bateau à une hélice, d'une longueur de 11,60 m sur 2,13 avec une machine à haute pression d'une force de 6 chevaux.
Ces trois bateaux doivent être livrés en trois tronçons chacun et remontés sur la plage de Banana à l'estuaire du Congo.2 barges sans machine propulsive, l'une de 18,25 m sur 2,14 m et l'autre de 12,20 m sur 1,62 m, d'un tirant d'eau en charge d'environ 0,60 m.
A ces embarcations, s'ajoutent un canot à vapeur, "Le Royal", don personnel de Léopold II, un chariot à quatre roues destiné à porter le corps des embarcations, deux chariots à 3 roues pour le transport des machines et chaudières. Après essais, eut lieu en juin 79 le départ pour l'Afrique à bord d'un des navires de Cockerill, la BARGA.
Faut-il dire l'immense somme d'efforts livrés afin d'amener cette flotte à pied d'œuvre. Certes, on dira combien Stanley et son équipe de quatorze Européens mirent à l'épreuve les Africains dans cette expédition. Roland Dorgelès, dans son livre "Sous le casque blanc" met en exergue les deux explorateurs célèbres, Brazza et Stanley. D'une part, Brazza, hâve, déprimé, miné par la dysenterie, accompagné de quelques porteurs; d'autre part, Stanley, détruisant la roche à la dynamite, exemple impérissable de la ténacité. Stanley et Brazza luttent de vitesse. Stanley ignore que Brazza a obtenu l'accord du roi Makoko, souverain des Batékés. Brazza voudrait s'implanter sur la rive droite du pool. Il s'avance sur la rive droite du fleuve. "Par instant, il entendait, répercuté par les falaises, l'écho de tonnantes explosions : le "Briseur de roches" n'était plus loin. Dans chaque village, on lui parlait de "Boula Matari", de ses machines qui creusaient le sol, de ses voitures de fer, de ses bateaux à fumée. Sans doute, voulait-on lui faire sentir son indigence, lui dont toute la richesse tenait en dix ballots ; mais il ne souffrait pas de la comparaison, c'était cette pénurie qui lui avait donné des ailes."
La rencontre entre les deux explorateurs eut lieu. Stanley ne pouvait cacher son dépit. En fait, le premier il avait découvert ces territoires. Pourquoi n'avait-il pas, ainsi que le lui avait préconisé Léopold II, pourquoi n'avait-il pas occupé immédiatement les deux rives du pool ?
Enfin, tout était dit, cet empire allait être partagé entre les deux états. La Belgique devait sa colonie à un Gallois, la France à un Romain...
Pendant que Stanley taille sa route, les difficultés politiques vont croissant. Quel est le statut de ce continent ? Quel pays prétend gouverner Vivi, capitale créée par Stanley ? Fin diplomate, Léopold II, s'allie l'aide de la France moyennant un droit de préemption. Mais comment faire admettre par les chancelleries allemande, anglaise et autres, ces marchés d'empoigne conclus avec des sauvages incultes ?
Le Portugal, fort de ses enclaves, réclamait ses droits et s'alliait avec le cabinet de Londres. La coalition franco-allemande, inquiète de voir l'Angleterre accaparer l'Afrique du Nil au Cap, fit reculer l'Albion dans ses prétentions.
Le 22 avril 84, les États-Unis, antiesclavagistes par doctrine, reconnaissent l'association africaine comme État. Enfin en 1884, l'État Indépendant du Congo voyait le jour à Berlin et l'Acte qui découlait des accords du Congrès donnait les coudées franches à Léopold II.
Désormais, le Congo était ouvert sans restriction à l'exploration et par conséquent à l'expansion.
Premier pas dans l'exploration du continent, la création d'une flotte de steamers afin de pouvoir remonter les rivières et leurs affluents, toute pénétration par terre étant par elle-même vouée à l'échec.
La majeure partie des bâtiments construits pour le Congo le furent par Cockerill. Nous relevons, et ceci est pour le moins stupéfiant à pareille époque, que cette société construisit en 1906 un bateau à roue arrière !
Mais, laissons parler le rédacteur de la revue "Contact entre nous" (revue éditée par la Société Cockerill - Ougrée).
"Le Premier Sternwheel"En septembre 1886, notre société reçut de l'État indépendant du Congo qui venait d'être fondé, la commande du premier bateau à roue arrière.
Ce type d'embarcation avait sur celles à hélices, l'avantage d'un tirant d'eau moindre et sur celles à roues latérales la supériorité de pouvoir accoster bien plus aisément, de naviguer plus facilement dans les passes étroites et d'éviter les chocs des corps flottants contre les roues de côté.
Ce bateau appelé "Ville de Bruxelles" avait la coque en bois, une longueur de 24,40 m et 5,49 de large. La machine à deux cylindres était placée à l'arrière, elle attaquait directement la roue de propulsion et développait 69 chevaux. Les deux chaudières du type locomotive étaient situées à l'avant. Il pouvait porter 22 tonnes de marchandises et calait ainsi 2 pieds. L'essai de ce bateau fait sur l'Escaut en décembre 86, donna en eau calme 8 noeuds. L'expédition eut lieu en pièces détachées, chaque colis ne .dépassant pas 30 kilos, sauf quelques pièces de machines.
A cette époque, on pouvait voir sur la route des caravanes un millier de noirs portant chacun sur la tête un morceau de bateau. C'est le lieutenant Lippens qui remonta le bateau en Afrique"
A la lecture de ces quelques lignes, on comprend combien était ardue la tâche des officiers belges qui composaient en majeure partie les forces d'exploration déléguées par Léopold II. Pour la petite histoire, disons combien était peu apprécié en Belgique l'envoi d'officiers au Congo, ces officiers étant en mission alors que le gouvernement ne prétendait avoir aucune collusion avec l'État Indépendant du Congo.
Pourtant dès 1878, une poignée d'officiers belges s'était avancées à l'intérieur du continent africain. On n'était pas sans ignorer les fabuleuses richesses que recelait le Katanga, territoire alors sous le joug du potentat Msiri.
En 1874, le Lieutenant de la Royal Navy, Verney Lovett Cameroun, utilise comme monnaie d'échange des lingots de 2 à 3 livres en forme de croix de Saint-André (les célèbres croisettes !). Près des sources du Lomani, cet officier constate que le cuivre sert de monnaie d'échange pour l'achat d'esclaves.
Partie de Zanzibar (1878), attristée par la mort de son chef, le capitaine Crespel, l'expédition belge, sous les ordres du capitaine Cambier, fonde après une lutte impitoyable, la première station belge en Afrique, à Karéma, sur la rive orientale du Lac Tanganyika. Le capitaine Popelin reconnaît la rive occidentale du lac mais est bientôt emporté par la maladie (1881). En 1883, le lieutenant Storms établit le poste de Pale sur le lac Tanganyika.
A partir de cette base, une expédition pénètre à l'intérieur du Katanga. Elle est constituée de savants allemands mais agit au profit de Léopold II.
L'expédition atteint Bunkeya où règne le féroce Msiri. L'accueil du monarque est réservé mais il ne marque aucune hostilité aux Drs Reichard et Bohm. Hélas, le Dr Bohm meurt au cours d'une reconnaissance et le Dr Reichard se voit bientôt confronté avec un Msiri soudain hostile. Obligé de fuir, Reichard regagne Pale et l'expédition est vouée à l'échec.
D'autres expéditions vers cette terre si ardemment convoitée du Katanga sont entreprises. Citons notamment l'expédition menée par un officier portugais, le lieutenant Ivens. D'autres explorateurs, missionnaires ou agents d'hommes d'affaires, tentent d'entrer dans les bonnes grâces de Msiri. En fait, la cuvette du Congo intéresse moins l’occidental ; les voies de pénétration y sont rares et seule la forêt où se disséminent des tribus sauvages et rétives s'offre aux explorateurs.
En 1890, un Britannique, Alfred Sharpe arrive à la mission de Bunkeya, mission qu'a fondée le missionnaire écossais Arnot. Alfred Sharpe a un maître qui l'a chargé d'une mission secrète : le nom de ce maître : Cecil Rhodes !
Un seul désir anime Cecil Rhodes, réaliser l'union "Cape to Cairo". L'Angleterre soutient par une violente campagne de presse l'attitude du "Napoléon du Cap". En effet, l'État Indépendant du Congo a-t-il occupé le Katanga 7 Qu'y trouve-t-on, sinon des missionnaires britanniques ?
Léopold Il semble pris de court. Ses expéditions ont fortement entamé sa cassette personnelle. Certes, des colonnes avancent péniblement le long de l'Ubangi et le Lomani, la lutte antiesclavagiste est menée brillamment par quelques officiers belges sans grade et qu'animent des sentiments uniquement humanitaires. Des postes sont établis à Basoko sur l'Aruwimi, à Lusambo sur le Sankuru. Mais inconsciemment, Léopold II sait que l'avenir du jeune état se joue dans le lointain Katanga. Si le pays veut vivre, et voler à brève échéance de ses propres ailes, ce n'est que par ses richesses minières qu'il peut le faire. Les événements récents du Congo et notamment la sécession katangaise de 1960 nous le disent éloquemment. Combien de fois n'a-t-on répété, et à juste titre que, amputé du Katanga, le Congo n'est pas viable. Et Dieu sait, si le reste de cet état est autrement mis en valeur aujourd'hui que voici 60 ans.
Léopold II doit agir. En 1888, n'écrit-il pas au capitaine Thys (qui en 1890 réalisera la liaison ferrée Matadi-Léopoldville).
"La théorie de certains journaux anglais est que toute partie d'État non occupée peut être prise par celui qui voudrait l'occuper. Nous avons donc un inté-rêt capital à diriger, dès que nous le pourrons, de grandes expéditions jusqu'à nos frontières du Nord et du Sud et cela sous peine de tout perdre".
A Bunkeya, un élément imprévu bouleverse les prévisions de Cecil Rhodes. Msiri refuse le protectorat britannique pour des raisons qui tiennent plus du fétichisme que du raisonnement politique. Mais le danger n'étant pas écarté, le commandant Le Marinel, le héros de la Sankuru, reçoit l'ordre de créer à Bunkeya un poste et d'y faire flotter le pavillon de l'AIA. Delcommune qui a reconnu les territoires du Bas-Congo et contribué grandement à l'établissement du tracé de la voie ferrée Matadi-Léo a charge d'une seconde expédition. Une troisième commandée par le commandant Bia s'embarque à Anvers en 1891. Enfin, à l'instar des sociétés privées établies au Congo, une quatrième expédition sous les ordres du capitaine Stears est également dirigée vers le Katanga.
En avril 1891, Le Marinel entre à Bunkeya. En quatre mois, il a parcouru 1300 km, ce qui dans un pays hostile, inconnu, sans voies de communication représente un véritable exploit. L'accueil de Msiri est réservé. Hélas I le dépôt de munitions saute dans la nuit et, désemparé, Le Marinel retourne à Lusambo. Il laisse en arrière dans un poste érigé sur la Lofoi le Lieutenant Legat, le sergent Verdick et une compagnie indigène.
Pendant ces événements, Delcommune remonte le Congo, la Lomami et atteint Gandu. Ensuite il se met en route vers le Katanga. Loin de postes sûrs, dans des régions hostiles, au climat souvent meurtrier, de telles épopées paraissent empreintes de folie. La colonne subit des attaques. Le capitaine Hakansson, ancien officier suédois au service de Léopold II, est abattu. 6 mois après Le Marinel, Delcommune entre en contact avec Msiri. Le tyran siège sur un trône qu'entourent des têtes fraîchement coupées. Heureusement les hommes du poste de la Lofoi sont retrouvés sains et saufs. La maladie décime les membres de l'expédition. Près de 400 européens et indigènes succombent.
Le cours supérieur du Lualaba est inconnu. Delcommune ordonne la construction de pirogues et descend le cours de la rivière. Non loin de l'actuelle Kolwezi, la route navigable est barrée par les chutes de Zilo. L'obstacle est infranchissable. Delcommune ne pousse pas vers l'Ouest, aucune voie navigable ne le permettant. La mort dans l'âme, il décide de rejoindre le poste de la Lofoi.
La troisième expédition commandée par le capitaine Stairs part de Dar-es-Salam, suit la route des marchands d'esclaves et traverse le Tanganika. Bunkeya est atteint et le drame va se jouer. Stairs choisit d'impressionner le vieux forban Msiri. Le capitaine belge Bodson et le marquis de Bonchamps, officier français, veulent ramener par la force Msiri. L'entrevue est violente et Bodson se sentant menacé abat le roi noir. L'officier belge est blessé et succombe bientôt. L'expédition réduite à des hommes blessés et malades ne doit son salut qu'à l''arrivée en janvier 1892 de l'expédition Bia. D'autres Belges accompagnent le commandant Bia. Leurs noms vous sont familiers : Franqui, qui reconnut la rivière Kasai et créa le poste qui porte son nom. Cornet, géologue modeste qui allait annoncer au monde entier l'inestimable trésor qui dormait sous ces terres sauvages. Le commandant Bia devant l'état de santé des membres de l'expédition STAIRS doit dès lors assurer cette présence de l'État indépendant sans laquelle le territoire peut être perdu, présence si cruellement ressentie en pertes humaines. La famine règne en maîtresse et, note Franqui, chaque jour nous apporte parmi les noirs un nouveau tas de cadavres.
Cornet et Bia reconnaissent le Sud-Ouest du Katanga. Le gisement de cuivre du Kambove est mis à jour. La maladie continue d'assaillir les héroïques pionniers et quand le commandant Bia rejoint Tenke, il n'est plus qu'un squelette vivant. Cornet descend la Lufira et découvre les chutes qui portent son nom. Ensuite Cornet rejoint à Tenke le commandant Bia. La région est explorée systématiquement et tous les grands gisements de cuivre et de fer sont relevés. Rappelés à Tenke, Cornet et son fidèle compagnon, le docteur Amerlinck, apprennent la mort du commandant Bia. Sa tombe est creusée dans cette terre d'Afrique. Qui connait son nom aujourd'hui ?
Le Lieutenant Franqui, désormais chef de l'expédition, remonte le Lualaba jusqu'à ses sources. Puis, comme Delcommune, en pirogue, il en descend le cours. Il contourne les gorges de Zilo, s'enfonce dans les vallées du Lubudi, du Luembe et du Lubushi. Le 30 décembre 1892, l'expédition arrive à Gandu sur le Lomani. Les Arabes qui se voient dépossédés de leur fructueux marché d'esclaves sont en révolte.
Delcommune a charge et réussit à mater la rébellion. Au cours de ces combats, un jeune officier, le capitaine Jacques s'illustre par sa bravoure. Ces quatre expéditions katangaises avaient coûté cher en hommes.
En effet, près des deux tiers des effectifs avaient succombé.
Mais à quel résultat n'était-on pas parvenu ! Le Katanga et par contrecoup l'État indépendant du Congo étaient sauvés. Un accord entre les gouvernements britannique et de l'État du Congo mettait fin à la polémique. Les sacrifices de Bia, de Bodson, d'Hakansson, de Stairs et de tant d'autres obscurs Africains offraient au jeune état sa source d'existence.
Cependant les Arabes n'ont pas désarmé ; il faudra deux ans d'efforts et de luttes incessantes pour mettre une fin à cette guerre. Retenons le nom de Dhanis qui s'illustra particulièrement dans cette lutte sans merci.
Par la suite, les éléments de viabilité du Congo étant en place, la pose de la grande voie ferrée de la BECEKA étant terminée, une exploration systématique de ce territoire fut entreprise. L'expédition belge vers le Nil, espoir insensé va tourner court, les influences internationales ne le permettant point. En fait, les grandes puissances n'avaient jamais cru à la réussite des projets de Léopold Il. Elles escomptaient un essoufflement rapide des moyens mis en œuvre par un pays aussi petit que la Belgique, pays sans marine, pays servi par une armée non aguerrie et que déchiraient déjà les luttes politiques sur des problèmes intérieurs mesquins.
Ils n'avaient pas compté sur la volonté d'un Roi, peu sensible à l'opinion de ses compatriotes et dont la main dure niais sûre avait si bien su guider des hommes de sa trempe.
Rappelons-nous les noms de ces hommes qui sont partis à l'aventure et qui ont souffert encore plus dans leur cœur d'incompris que dans leur sang : Crespel, Delcommune, Bia, Franqui, Lippens, Dhanis, Legat, Verdick, Brasseur, Le Marine!, Vrithoff, Delvin, Delvaux, Thijs, Gambier, Cornet et d'autres encore. Nous laisserons à d'autres le soin de raconter la lutte contre les trafiquants d'esclaves, les batailles menées contre la nature pour y ériger chemins de fer, postes, camps retranchés, ports etc...
Permettez-nous de reprendre ces lignes dues à Roland Dorgelès (Sous le casque blanc), elles s'appliquent aux pionniers français mais ne sont-elles pas valables pour tous les pionniers de l'Afrique : "Chacun parle de notre empire colonial sans savoir comment il s'est constitué et les livres scolaires accordent moins de place aux campagnes du Soudan qu'à la Guerre des Deux Roses. Aujourd'hui plus que jamais, cette indifférence est coupable et j'ai le sentiment de réparer une injustice en mettant en lumière la poignée d'inconnus à qui nous devons l'Afrique française. Je dis bien des inconnus ! Car si les Brazza, les Gallieni, les Marchand, les Mangin sont célèbres, personne ne peut citer les noms des autres, explorateurs effacés, officiers subalternes, jeunes administrateurs à deux cents francs par mois, qui sont tombés dans un coin de brousse, trop tôt pour se rendre illustres, ou ont achevé, après une heure de gloire une carrière sans éclat.
Et plus en avant dans le texte, ces phrases : "Rien n'est plus faux que la légende qui représente la conquête coloniale comme une suite de massacres."
Certes, à côté de sentiments humanitaires, on découvre toujours des buts économiques ; la tendance générale est de donner la préséance aux seconds. Missionnaires et marchands de canons, idéalistes et cupides se côtoient dans notre vaste monde. Et puis, il y a les indifférents qui n'ayant pas le courage moral d'imiter les premiers ni la possibilité de s'associer aux seconds englobent les uns et les autres sous le même qualificatif : aventuriers ! Ceux-là, ces indifférents, sont pléthore. De leur naissance à leur mort ils se cherchent, se disent incompris parce qu'ils refusent de voir en eux-mêmes, jouent du paradoxe car ils sentent leur propre inutilité. Ils sont la foule qui va d'un extrême à l'autre. Leur propre réalité les dépasse, ils sont utopiques avec les utopiques, réalistes quand il le faut, médiocres toujours.
Et pourquoi cette conclusion amère ?
Peut-être parce qu'un jour, en pensant à ces hommes qui ont tout donné, en évoquant un Livingstone, un Brazza, un Bia, un Lamy, on a effleuré l'affreux vide où nous entraîne l'existence bourgeoise. L'homme c'est l'Action. En dehors de l'action, il n'y a place que pour le désarroi. Voilà le message que nous ont légué ces hommes dont nous avons bien imparfaitement tenté de retracer l'épopée.