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Art et science de la navigation


LA TRADITION DEVIENT SCIENCE - CONSTRUCTION D'UN NAVIRE - LE LANCEMENT - NOUVEAUX INSTRUMENTS DE NAVIGATION - LA DIFFICILE NAISSANCE DU CHRONOMÈTRE.


Dans l'antiquité, la navigation était un art presque magique et jusqu'à la fin du Moyen Age, le pilote semblait tenir dans ses mains des pouvoirs inconnus des autres hommes. Il en fut de même pour les constructeurs navals.

Des chantiers, il y en avait beaucoup le long des côtes. Ils étaient placés sous l'autorité des marres charpentiers qui eux aussi se transmettaient leurs secrets de génération en génération.

Bien entendu, un navire se construit selon les mêmes principes : une quille, des couples sur lesquels sont chevillées les planches du bordé joignant l'étrave à l'étambot et dont l'ensemble forme la coque. Mais la valeur d'un navire dépend de plusieurs éléments : la qualité des bois, les soins apportés à l'assemblage, le tour de main du charpentier et de son équipe.

Avec l'accroissement du tonnage, des problèmes nouveaux étaient posés : ceux de la résistance à l'avancement, de la solidité, de la répartition du poids, de la stabilité, tout ce qui sera plus tard codifié sous le nom de théorie du navire. La construction navale, pour les bâtiments d'une certaine importance du moins, quitta peu à peu le stade artisanal.


La tradition devient science.


A partir du XVIIIe siècle, le développement de la science permit de considérer ces problèmes dans toute leur ampleur et de concilier une tradition qui avait fait ses preuves avec les données de la mathématique et de la mécanique.

Il y avait depuis le xve siècle des écoles de navigation. Il y eut aussi des écoles de construction navale où les jeunes architectes étudièrent les formes des coques, observaient l'évolution des navires en mer.

En 1775, d'Alembert et Condorcet procédèrent à des expériences qui allaient être reprises sur une grande échelle par nos modernes bassins de carène. Ils firent construire des modèles réduits et étudièrent, à l'aide de dispositifs à poids, la résistance à l'avancement. Ils découvrirent que cette résistance ne croît pas exactement comme le carré de la vitesse, ainsi qu'on le pensait jusqu'alors.

Malgré ces principes établis, la forme des coques changea peu et la science semblait confirmer sur certains points les leçons de la tradition. Du moins les méthodes de construction devinrent-elles plus rationnelles, ainsi que l'organisation des chantiers, surtout en ce qui concernait le ravitaillement en matières premières.

Au premier rang de ces matières premières était évidemment le bois, du chêne en général pour les membrures et du pin pour les mâts. Le hêtre était réservé à certaines parties du bordage et à la quille.
Pour la construction d'un vaisseau, il ne fallait pas moins de 2 000 chênes. Des forêts entières furent achetées et réservées aux constructions navales. Le bois devait subir un traitement spécial et au demeurant fort simple : on le faisait tremper dans de l'eau saumâtre, parfois pendant des dizaines d'années. La sève éliminée, on faisait sécher les troncs un ou deux ans avant de les utiliser. Cette prépa ration préalable avait une importance primordiale. Que le bois jouât, et la coque ne gardait pas sa rigidité et faisait eau.


Construction d'un navire.


La construction du navire devenait donc une entreprise collective, presque nationale, à laquelle participaient tous les corps de métier : charpentiers, ferronniers, cordiers, calfats, fournisseurs de toute sorte.

A l'écart des magasins et entrepôts s'élevaient les chantiers de construction. Ceux-ci étaient constitués par une série de billots de bois, les tins, placés à deux mètres de distance, qui formaient sur la cale de construction un grillage incliné de trois degrés pour faciliter le lancement ultérieur du navire.

Sur les tins, on posait la quille sur laquelle étaient fixés successivement l'étrave, l'étambot avec carcasse, charpente de l'arrière. Tout cela était consolidé par des contre-étraves et contre-étambots.
Ensuite, on agençait sur la quille les couples formés de bas en haut par la varangue, le genou — la partie courbe du couple — et enfin l'allonge. Tous ces couples étaient consolidés par des lisses, pièces de bois horizontales. Enfin la coque recevait son bordage, son aménagement intérieur et son pont.

Le navire était alors prêt à être lancé. Il pesait environ 2 000 tonnes s'il s'agissait d'un vaisseau et il était impossible de continuer à le charger sans danger.


Le lancement.


Le lancement qui marque la naissance du navire, la prise de possession de son élément, a toujours été une cérémonie solennelle. C'est aussi — et surtout — une opération délicate. La coque repose sur un ber dont les différentes parties l'enserrent et la maintiennent. Le tout est supporté par des couettes qui glisseront avec le navire, lorsque celui-ci sera libéré de la saisine qui le retient à la cale et des différents coins qui l'empêchent de glisser à l'eau.

Le pavillon royal claque à la poupe. Des branches de laurier bruissent le long du bord. L'air sent la peinture fraîche et le bitume. Des ordres dominent les murmures des assistants, les cris des enfants, le roulement des carrosses qui amènent les invités de marque.

Soudain, c'est le silence. Un prélat s'avance et bénit le navire. Sa voix lance les prières rituelles et lorsqu'il se tait, le silence s'approfondit encore car, d'un moment à l'autre, le navire va entrer dans la mer. Les coups de marteau résonnent, les amarres rompues à coups de hache fouettent l'air et lentement, la coque glisse avec son ber dans un jaillissement d'écume à laquelle se mêle la fumée du suif échauffé par le frottement des pièces de bois.

Des acclamations montent. Des mains agitent des tricornes. Des imprudents fuient le rivage pour ne pas être submergés par le reflux de l'eau déplacée par le navire. Des charpentiers qui ont participé au lancement célèbrent l'événement, le verre en main.
Les gens de mer, superstitieux, commentent le lancement, attentifs aux moindres présages qui pourraient faire augurer de la carrière du navire. C'est ainsi que, lors du lancement à Rochefort du vaisseau le Duc de Bourgogne, en 1751, on remarqua que « lorsque le vaisseau partit, il parut un oiseau de proie poursuivant une colombe qui trouva un asile dans les lauriers du Duc de Bourgogne ». Et cela parut à tous un heureux auspice.


Nouveaux instruments de navigation.


La navigation suit les progrès de la construction navale. On se souvient qu'un capitaine, au XVIIe siècle, dispose essentiellement pour conduire son navire d'un astrolabe pour prendre la hauteur d'un astre, d'un loch pour mesurer la vitesse d'une sonde et, bien entendu, de l'indispensable compas.

Le compas se compose d'une « rose » solidaire de l'aiguille aimantée. La rose est en fait une étoile dont la branche supérieure indique le nord et les autres branches les principaux points cardinaux. Sur le rebord intérieur du cercle du compas, un repère : c'est la « ligne de foi » qui matérialise l'axe du navire. L'angle de la ligne de foi avec le nord est le cap.

Un compas se trouve devant le timonier. C'est le compas de route. Un autre compas est placé sur le château arrière. C'est le compas de variation dont le rôle est de contrôler le compas de route. Ce dernier est non seulement affecté par la déclinaison magnétique, mais aussi par la présence des objets en fer, les canons par exemple, qui se trouvent dans son voisinage.
Il est donc indispensable de déterminer souvent la variation, l'écart de l'aiguille avec le nord vrai. On compare les indications de la rose avec l'étoile polaire, dans l'hémisphère nord, ou avec un point à terre, visé au moyen d'une alidade, lorsque la position de ce point est déterminée avec assez de précision sur la carte.

Le loch et la sonde ne subiront pas de grands changements jusqu'au milieu du me siècle. Ils donnent d'ailleurs satisfaction. Il n'en est pas de même pour les instruments destinés à mesurer la hauteur des astres.

Certains capitaines utilisaient encore la primitive arbalète, mais un instrument plus perfectionné allait être mis au point par un marin, le grand explorateur anglais John Davis, découvreur du détroit qui unit la mer de Baffin à l'Atlantique.

John Davis inventa donc en 1594 le « quart de nonante » que les marins appelaient parfois irrévérencieusement « tire-pied ». Il se composait de deux secteurs concentriques, le premier d'un rayon supérieur à l'autre et portant chacun un curseur.
Le capitaine visait l'horizon à travers le trou du curseur du premier secteur. Il amenait ensuite le curseur du deuxième secteur dans la direction du soleil, de manière que l'ombre de ce curseur coïncidât avec la pinnule centrale. Pour avoir la hauteur de l'astre, il fallait additionner les deux mesures de chacun des deux secteurs.

Le quartier de Davis marquait un progrès très net sur l'astrolabe, mais il était encore mal commode à manier, surtout lorsque le roulis secouait le navire. Un bon observateur obtenait la hauteur du soleil à cinq ou six minutes d'arc près, ce qui correspondait à une erreur en latitude d'une douzaine de kilomètres.

L'instrument fut peu à peu amélioré. Vernier, un géomètre, inventa une petite règle coulissante et qui permit une plus grande précision dans la lecture des graduations. Enfin, un « verre ardent », c'est-à-dire une lentille convexe, placé sur la pinnule centrale, donnait du soleil un point brillant permettant une plus grande précision dans la lecture.

Davis, nous l'avons dit, était un marin, mais ce furent des astronomes et des mathématiciens qui trouvèrent la solution définitive du problème. Celui-ci était le suivant : viser simultanément l'astre et l'horizon afin de faire coïncider leurs images. Le premier, l'Anglais Hooke qui étudia en même temps que Newton les lois de la gravitation universelle et inventa notamment le baromètre enregistreur et le pluviomètre, conçut un miroir mobile amenant l'image de l'astre sur celle de l'horizon, élément de base de ce qui allait plus tard devenir l'octant.
Newton, trente ans plus tard, traça les plans de cet octant, mais c'est en 1731 que le mathématicien John Halley le réalisa.

L'octant se compose d'un arc de 45° — soit le huitième de la circonférence, d'où son nom. Sur cet arc de cercle appelé limbe pivote une alidade. A l'extrémité supérieure de l'alidade est un grand miroir solidaire de celle-ci. Sur un rayon de l'arc de cercle est fixée une lunette dans le prolongement de laquelle, sur la branche opposée, se trouve un petit miroir dont une moitié est étamée et qui renvoie l'image de l'astre réfléchie par le grand miroir. De cette façon, on peut voir simultanément l'image de l'astre et celle de l'horizon. Quand elles coïncident, on
lit la hauteur sur le limbe. Les graduations de celui-ci sont multipliées par deux, car par suite de double réflexion, on n'obtient que la moitié de la valeur de la hauteur.
La réalisation de cet octant fut au début imparfaite. L'instrument était lourd. La monture était en bois et les miroirs défectueux. Peu à peu, il fut allégé, le système optique amélioré et quand le limbe fut porté à 60°, l'octant devint le sextant.


La difficile naissance du chronomètre.


Donc, vers le milieu du XVIIIe siècle, les marins purent connaître leur latitude avec plus de précision. Restait le problème jusqu'alors quasi insoluble de la longitude.

On a vu que la longitude était calculée en faisant la différence entre l'heure d'un lieu — établie d'après des hauteurs d'astres — et l'heure du premier méridien. Pour connaître celle-ci, le moyen le plus simple était évidemment d'avoir recours à un « garde-temps ». Dès le xve siècle, quelques tentatives eurent lieu. On embarqua d'énormes sabliers de 24 heures et même des clepsydres, ces horloges à eau déjà connues des Egyptiens, des Chinois et des Romains, mais les résultats, on s'en doute, furent plus que décevants.

A l'époque où l'on faisait ces tentatives, on commençait à construire des montres, mais il s'agissait d'instruments encore fragiles et primitifs qu'il n'était pas question de placer à bord des navires. Pour comprendre l'étendue du problème, il faut se rendre compte des conditions très dures auxquelles auraient été soumises les montres sur un navire. Les mouvements du tangage et du roulis, les différences de température, l'atmosphère humide, toutes ces causes auraient contribué à les dérégler.

Les montres, depuis qu'en 1674 Huyghens avait inventé le régulateur à ressort spiral, avaient atteint une relative précision. Mais cette précision — elle donnait une marge de variation de vingt à trente secondes par jour — était insuffisante pour le calcul de la longitude. En effet, une erreur journalière de trente secondes pendant un voyage de deux mois aurait donné une erreur globale de 450 milles marins, soit 855 kilomètres.

Pour stimuler le zèle des inventeurs, le Parlement britannique, suivant en cela l'exemple de l'Espagne et de la France, avait promis une récompense au premier qui mettrait au point une montre marine : 20 000 livres si cette montre permettait le calcul de la longitude à un demi-degré près au cours d'un voyage en Amérique, et 10 000 livres si l'erreur était d'un degré.

Il semblait que l'avenir de la navigation fût entre les mains des horlogers, et c'était ce qui irritait les astronomes. Ils s'en tenaient, eux, à la méthode des distances lunaires dont nous avons déjà parlé. Avec la précision des nouveaux instruments de mesure des hauteurs d'astres, cette méthode donnait en effet des résultats acceptables, mais elle ne pouvait être utilisée sur le pont mouvant d'un navire.

En 1726, un homme d'allure modeste vint timidement se renseigner au Bureau des Longitudes à Londres sur les conditions d'obtention du prix promis par le Parlement. On lui demanda s'il était horloger professionnel. Il répon­dit par la négative, mais affirma qu'il avait dessiné les plans d'un chronomètre de marine. A cet inconnu, un certain John Harrison, fils d'un charpentier du Yorkshire, on communiqua le règlement demandé, mais on resta sceptique quant à ses chances de réussite. On avait d'ailleurs quelque raison de se méfier des amateurs depuis qu'un alchimiste avait proposé d'embarquer à bord des navires des chiens sur lesquels il aurait pratiqué une petite blessure à l'aide d'un instrument spécial. Tous les jours à midi, l'alchimiste enduirait l'instrument d'une poudre sympathique et sur le navire, les chiens se mettraient à hurler ensemble, indiquant du même coup l'heure du premier méridien.

Harrison, lui, n'était pas un illuminé. Il trouva l'appui d'un horloger de renom, George Graham, et il se mit au travail. En 1735, il pouvait présenter son chronomètre. Les rouages étaient en bois, mais les dents en métal. Deux balanciers oscillant en sens contraire assuraient la régularité de la marche. Un système antithermique en acier et en laiton corrigeait les écarts de température.

Le bureau des Longitudes accepta d'essayer le lourd chronomètre — il pesait 35 kilogrammes — au cours d'un voyage dans la Manche. Il permit de corriger l'estime de 1,5°.

C'était déjà un résultat et Harrison continua de se pencher sur son établi, inventant, construisant, essayant lui-même engrenages et ressorts. Un second, puis un troisième chronomètre furent achevés, mais c'est un quatrième, de poids et de taille réduits, qui fut enfins admis à subir l'épreuve d'un voyage aux Antilles en 1761.

A Port-Royal de la Jamaïque, des astronomes avaient établi la longitude du lieu au moyen des distances lunaires. Puis on détermina cette même longitude en faisant la différence entre l'heure du lieu et l'heure donnée par le chronomètre de Harrison. On compara les résultats : la différence n'était que d'une minute de longitude.

Un second voyage à la Barbade donna la même marge d'erreur, mais Harrison ne toucha d'abord que la moitié de son prix. On voulait d'abord s'assurer, avant de lui en remettre la totalité, que ce chronomètre pouvait être construit par un autre que son inventeur. Enfin, en 1775, sur l'intervention personnelle du roi George III, Harrison toucha le reliquat de son prix. Il mourut l'année suivante, âgé de quatre-vingt-trois ans.

Dix ans auparavant, le 25 août 1776, Louis XV accordait une audience à l'horloger Pierre Le Roy qui venait lui présenter une montre marine de sa fabrication.
Cette montre possédait un balancier compensateur des écarts thermiques et, pour la première fois, l'échappement à ancre. Grâce à ces perfectionnements, elle allait être cette fameuse « machine à calculer la longitude » si longtemps cherchée.
Du moins l'espérait-on. Restait à l'essayer. Pierre Le Roy s'embarqua un an plus tard sur la petite corvette l'Aurore, construite par un mécène, le duc de Courtanvaux qui était du voyage. L'Aurore croisa pendant plusieurs mois dans la Manche et la mer du Nord et les longitudes calculées au moyen des montres de Le Roy se révélèrent exactes.

Puis celles-ci furent embarquées sur la frégate l'Enjouée qui navigua du Maroc aux Antilles. Enfin, la croisière de la frégate la Flore dans l'Atlantique de 1771 à 1772 confirma que les chronomètres de modèles différents, dus à Le Roy et à trois autres horlogers, pouvaient être utilisés en toute confiance par les capitaines.

Il fallut pourtant attendre une quarantaine d'années avant que l'usage des chronomètres se généralisât. Au début, la fabrication de ceux-ci demandait beaucoup de temps et de travail et il n'était pas question de les construire en grand nombre pour en équiper tous les navires. Seuls, quelques navigateurs privilégiés possédèrent ces instruments coûteux et fragiles. Cook en emporta un pour son deuxième voyage en 1777 et déclara que « la longitude ne pourrait être fausse tant que nous aurons un guide de cette valeur ». Huit ans plus tard, l'Astrolabe et la Boussole furent pourvus de montres et même d'un chronomètre de Cook que La Pérouse reçut « avec un sentiment religieux pour la mémoire de ce grand homme ».

Avant ces navigateurs, Kerguelen, pour ses deux expéditions à la recherche du continent austral, de 1771 à 1774, disposait d'une montre de l'horloger suisse Berthoud. Mais il n'avait guère confiance en ces nouveaux instruments et préférait pour calculer sa longitude les méthodes de hauteurs lunaires ou bien encore s'en tenait à son estime. Malgré ces dernières méfiances, on peut considérer qu'à la fin du XVIIIe siècle, la navigation empirique, celle où le flair et le sens marin des capitaines suppléaient le manque de moyens techniques, vivait ses dernières années, et que l'ère des continents incertains et des îles fantômes allait disparaître.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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