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La Compagnie d'Ostende(II)

 

de Leon Hennebicq 1919

 

III LE PORT D'OSTENDE, DERNIER ESPOIR

Au demeurant, rien ne nous faisait absolument défaut pour créer cette marine dont la nécessité se faisait tant sentir.

Nous avions un port : Ostende, que la clairvoyance politique et la ténacité guerrière des archiducs Albert et Isabelle avaient arraché à l'emprise des Hollandais. Certes, ce havre, peu profondé­ment creusé dans une côte basse, ne nous dédommageait pas de la perte d'Anvers. Ce n'en était pas moins un port, et en attendant que la guerre ou la diplomatie nous rouvrît l'Escaut, Ostende suffisait aux ambitions restreintes du marquis de Prié.

Ce serait, d'ailleurs, une erreur que d'attribuer à Ostende une importance médiocre. C'était 'pour le temps une ville assez considérable : en 1698, on comptait à Ostende 1.113 feux composés de 6.728 personnes, chiffre fort élevé si l'on considère qu'au début du XVIIIe, au temps de sa splendeur, contenu dans ses murs près de 200.000 âmes, ne comptait plus guère que 60.000 habitants. Saint-Malo qui, vers la même époque. Grâce à ses corsaires et à ses navigateurs, jouait un rôle important dans le commerce maritime, n'était ni si bien situé, ni si sûr. Quant à Lorient qui, comme siège des Compagnies Françaises des Indes Orientales et Occidentales, devait avoir une destinée analogue à celle d'Ostende, il comptait à peine 6.000 habitants en. 1708, et ne se trouvait pas placé, comme Ostende, au débouché d'une région aussi industrielle que nos provinces.


***


Au cours des siècles, Ostende, le petit hameau de pêcheurs dont parle déjà une charte du IXe siècle, s'était bien transformé 1. Bâti tout d'abord à l'extrémité d'une sorte de digue naturelle, assez comparable au Lido qui protège la lagune de Venise, — d'où son nom : Ostende-ter-streep, la pointe orientale de la bande, comme Westende, la pointe occidentale et Middelkerke, l'église du milieu —Ostende, malgré les raz-de-marée qui la détruisait périodiquement, ne tarda pas à devenir un centre de pêche important. Grâce à une préparation spéciale du hareng, son commerce grandit chaque jour, — ce qui d'ailleurs ne laissa pas de soulever la jalousie de Nieuport, de Damme et de l'Écluse.

Mais alors même que ses harengs « caqués » lui acquéraient une réputation européenne, Ostende ne possédait pas le moindre port ; comme le font de nos jours encore les pêcheurs de La Panne et de Knocke, ceux d'Ostende échouaient leurs barques sur le sable de la grève.

Mais, en 1395, après avoir beaucoup souffert par les « fortunes, orages et inondations des eaux de la mer », la ville — le titre de cité lui avait été octroyé en 1267 — dut se retirer à l'abri de la digue du Franc, qui était construite un peu en deçà. Là, en 1445, Philippe le Bon permit aux Ostendais de se creuser un port ; ses installations étaient encore peu vastes : un bassin situé à peu près à l'emplacement du Kursaal actuel.

Il fallut les malheurs du grand siège de 1601 pour doter Ostende d'un port plus profond et mieux abrité. Ostende ayant pris parti pour les Provinces-Unies, l'archiduc Albert vint, le 5 juillet, mettre le siège devant la ville. Sentant l'importance que pourrait avoir entre ses mains le seul port du littoral belge, la Taciturne l'avait fortifié avec un soin extrême. Ostende fut défendu avec acharnement, et ce ne fut point trop de toute la valeur du grand général Ambrogio Spinola pour achever heureusement ce siège mémorable.

Le cardinal Bentivoglio lui a consacré une de ses pages les plus mouvementées : « Il fallut, écrit-il, plus de trois ans pour le mener à sa fin, et le dernier jour qu'Ostende tint contre l'ennemi, il étoit presque plus incertain si Spinola la prendroit que le premier jour, et personne n'osoit prédire de quel côté la victoire se tourneroit. Les assiégés ne manquèrent jamais d'être secourus par mer et les assiégeants ne cessèrent jamais d'avancer du côté de la terre. On éleva une quantité de batteries, on donna des assauts sans nombre. On travailla plus sous terre que dessus, tant on creusa de mines et tant on mit d'obstination à en creuser. On inventa de nouvelles machines à qui il fallut donner de nouveaux noms... Les Espagnols se virent maîtres, enfin, d'un morceau de terre qui passoit plutôt pour un cimetière que pour une ville ».

Ce fut pourtant à ce désastre que les Ostendais durent d'avoir connu, dans la suite, des jours prospères, glorieux presque. De ce siège date, en effet, le port actuel d'Ostende. Afin d'enlever aux Espagnols la seule voie dont ils pussent disposer pour attaquer la ville, les Hollandais firent raser les dunes de l'Est. La mer se précipita par l'ouverture qui lui était ainsi ménagée, inonda la plaine aux fortes marées d'équinoxe jusqu'à Oudenbourg, Zandvoorde, Leffinghe et Snaeskerke, et forma une vaste crique intérieure dont les chasses approndissaient l'ouverture. Aussi, quand le siège fut terminé on abandonna l'ancien havre et le chenal de l'Est devint le nouveau port d'Ostende

Le chenal, qui reliait la crique à la mer, avait alors vingt-huit pieds de profondeur. Il ne tarda pas, sous l'action des chasses, à devenir bien plus profond, et, dès 1612, on crut devoir l'endiguer de manière à. réduire le volume d'eau qui pénétrait à chaque marée dans la crique. Les résultats furent déplorables et, en 1627, on rouvrit le polder de Zandvoorde. Après l'avoir refermé, on le rouvrit une seconde fois et, en 1698, on avait 13 m. 75 de fond dans le port à marée basse. C'était trop et l'on pouvait craindre des accidents. On referma encore le polder et, en 1708, le port reprenait une profondeur normale de huit pieds à marée basse. Ostende était alors un port d'élection.

Sa situation, elle aussi, semblait la désigner pour devenir le port d'attache d'une flotte de commerce. Reliée, depuis 1665, par un large canal à la ville de Bruges, elle semblait devoir hériter de tous les avantages dont avait joui jadis la Venise du Nord. Comme celle-ci, Ostende paraissait devoir servir de marché à toute l'Europe.

Un vaste réseau de canaux, tel que bien des ports en voudraient posséder, la mettait en communication rapide avec la Flandre tout entière. Par le canal de Plasschendaele, elle était reliée à Nieuport, Fumes et Dunkerque. Gand, également, dans son désir de trouver une mer libre pour son commerce, avait entrepris, dès 1614, le creusement d'un canal jusqu'à Bruges (prolongé `jusqu'à Ostende) ; mais quoique ce canal ne fût pas encore terminé alors, on pouvait espérer son prompt achèvement ; ce qui eût mis, par l'Escaut, Ostende en communication avec Anvers.
Ne parlait-on pas aussi de reprendre bientôt le projet, élaboré déjà en 1698, par Charles II d'Espagne, de creuser un large canal qui, partant de Bruges et traversant le pays de Waes, aurait abouti au Fort-Marie sur l'Escaut, mettant Anvers à courte distance d'Ostende ? Ostende eût pu ainsi attirer vers elle, à la fois, le commerce de Bruges et d'Anvers et rendre peut-être à nos provinces leur éclat d'antan.
On le voit, Ostende, à défaut d'un autre port situé plus à l'intérieur des terres, jouissait de nombreux avantages. Mais, quelque sûr et bien situé qu'il soit, un port ne suffit pas pour créer une marine. Il faut des marins, il faut des navires. Or, les navires, c'était précisément ce qui faisait le plus défaut. Depuis la fermeture de l'Escaut, notre marine était morte ; et c'est à peine si l'on eût pu trouver, sur tout notre littoral, deux ou trois navires de haut-bord qui pourrissaient dans les bassins d'Ostende ou de Nieuport.

Mais qu'importe, le temps ne manquait pas pour les construire, les matériaux non plus. Nous avions aussi des charpentiers expérimentés dans la construction des navires. Leur réputation était même si bien établie que Colbert, quand il voulut doter la France d'une forte marine de guerre, vint recruter sur notre littoral et en Hollande les contremaîtres qui devaient diriger l'armement de ses vaisseaux de ligne.
Si les navires étaient rares, les marins du moins ne manquaient pas. Nous avons vu, par ailleurs, ce qu'avaient fait au cours des âges ces robustes marins qui vivent tout le long de notre côte, dans le creux des dunes, au bord d'une mer toujours âpre et toujours orageuse, quelle avait été leur audace, leur énergie et leur intrépidité.

Cette race de Gueux de Mer » n'avait pas dégénéré    


IV L'EXEMPLE DU CHEVALIER DE LA MERVEILLE ET LA COLÈRE D'AMSTERDAM ET DE LONDRES

Ce serait une erreur de faire dater l'essor d'Ostende, au XVIIIe siècle, de l'intervention du marquis donna une vigoureuse impulsion au commerce de Prié ; car quoique ce fût sous son gouvernement que le commerce belge reçut une vigoureuse impulsion, à ce moment déjà, Ostende avait repris une certaine importance commerciale.

Dès 1714, des marchands gantois et ostendais avaient, de leur propre initiative, sollicitée du gouvernement impérial l'autorisation d'armer des navires pour « transporter vers les Indes Orientales des marchandises et manufactures de ces provinces ». Un incident fortuit leur avait, en effet, prouvé la possibilité de faire le négoce avec les pays d'Orient.

Quelques mois auparavant, un capitaine français, Gollet de la Merveille, avait débarqué à Ostende une riche cargaison. Voici, paraît-il, à la suite de quelles circonstances : son navire, équipé par quelques négociants de Saint-Malo, avait été prendre charge aux Indes et à Ceylan. Pendant que ce voyage s'accomplissait, il s'était fondé en France une Compagnie des Indes. Cette Compagnie, ayant reçu le monopole du commerce dans les mers des Indes, menaçait de saisir la cargaison si le chevalier de la Merveille jetait l'ancre dans un port français ; ses armateurs lui firent donc dire, dès qu'il eût paru en vue de Saint-Malo, de s'éloigner au plus vite des côtes françaises et d'aller débarquer dans le premier port des Pays-Bas. Sur quoi, le bâtiment se remit en route et vint, à Ostende, vendre sa cargaison à des prix excessivement rémunérateurs.

Cette heureuse expédition incita le gouvernement autrichien à accorder l'autorisation que sollicitaient les négociants belges. Plus tard, sur l'avis du conseiller impérial du commerce de Castillon, le marquis de Prié fit proposer au capitaine de la Merveille de retourner aux Indes avec quelques vaisseaux que l'on ferait équiper spécialement. Le chevalier de la Merveille accepta et fit quelques voyages heureux.
Aussitôt que l'autorisation demandée leur eût été accordée, les négociants de Gand et d'Ostende réunissent un capital de 2.400.000 florins et arment plusieurs navires à destination de l'Inde et de l'Extrême-Orient. Les deux premiers navires, commandés par les capitaines flamands Guerrebrants et Richard Gargan, quittent Ostende dès juin 1715, salués par les acclamations de tout un peuple.

Cette première expédition eut grand retentissement dans tous les Pays-Bas autrichiens ; elle y suscita le plus vif enthousiasme. Bien des gens ne doutaient pas alors que ce même Ostende, qui relevait encore ses murs abattus par le siège de 1706, allait hériter à son tour de la gloire de Bruges et d'Anvers et rendre à nos provinces leur splendeur disparue. C'était aller bien vite, mais, étant donné les bénéfices considérables que rapportait aux Hollandais le commerce avec l'Orient, on pouvait espérer, pour peu que la fortune couronnât ce coup d'essai, affréter une seconde expédition et constituer peu à peu une petite flotte qui, tout en nous procurant les denrées que nous vendaient jusqu'alors les Hollandais, assurerait de sûrs débouchés à notre industrie.
Cependant les navires qu'avaient armés les négociants belges faisaient voile vers Surate, la grande cité commerciale de l'empire Mogol où « l'argent coule autant qu'en aucun lieu du monde », et y faisaient bientôt connaître, pour la première fois, le pavillon de Bourgogne. Un an plus tard, ils revenaient mouiller à Ostende au quai de l'Empereur, après dix-huit mois de voyage, ramenant dans leurs flancs des barres d'argent, de l'ambre, de l'indigo, des bois exotiques, des épices, du musc, du poivre, des tapis de Perse, des indiennes, des soies et des satins, des armes damasquinées, voire même des lingots d'or. À leur arrivée, on pavoise et l'on carillonne. Mais l'émoi fut plus grand encore lorsqu'on connut les bénéfices considérables qu'avait rapportés aux associés la vente des produits orientaux : ils atteignaient près de cent pour cent.

Ce premier essai avait prouvé que tout n'était pas perdu et que nos provinces pouvaient encore renaître à une vie commerciale qui eût répandu, par le réseau des canaux, la richesse et l'activité dans toutes ces villes flamandes, assoupies maintenant dans l'inaction et la médiocrité. Cet audacieux exemple fut bientôt suivi ; à peine les deux navires sont-ils revenus de leur voyage que déjà une seconde expédition se prépare pour le printemps prochain.

On arme deux navires, là-bas, dans le port. Dans la darse, l'un, déjà à flot, battant tous ses pavois, raie le ciel clair de son gréement neuf. Il est tout rutilant de cambouis et de peinture et sa poupe est dorée comme une châsse. Ses mâts, tendus par les cordages, semblent déjà frémir sous l'assaut des vents, qui bientôt l'emporteront au loin, gigantesque oiseau s'éployant sous le soleil et dans la vague. De robustes soutiers arriment au fond des cales, les marchandises qui seront échangées là-bas, dans le mystère des ports de Cathay et de l'Inde.
L'autre navire, encore sur chantier, résonne des coups de maillet que lui assènent les calfats. Des palans hissent, en gémissant, de lourdes caronnades, dont les gueules bronzées vont s'encadrer dans les sabords béants, tandis que par les écoutilles ouvertes s'échappent les chants rythmés des matelots qui lavent les ponts à grande eau.
Au printemps, les deux navires quittent Ostende. L'un est armé par un négociant d'Amsterdam, le baron Cloots ; ce Hollandais n'a voulu laisser aux seuls Belges le profit du commerce maritime entrepris dans nos provinces. Cependant il n'a pas osé enfreindre la défense des Illustres Seigneurs États Généraux de Hollande, et c'est à un capitaine anglais qu'il a dû recourir.

Car les Provinces-Unies se sont émues de ce réveil des Pays-Bas méridionaux : elles connaissent notre énergie et notre vitalité, et croyant, avec beaucoup de présomption, que nous manquons de marins, elles ont cru conjurer le péril naissant en interdisant, sous peine de mort, à tous leurs matelots de monter à bord des navires belges. Mais nous les narguons bien : nos marins valent les leurs et, malgré toutes les garnisons hollandaises qui nous sont imposées, malgré toutes les citadelles étrangères dont nous sommes hérissés, nous n'abaissons pas le pavillon devant leurs menaces.
Au contraire, leurs attaques incessantes semblent avoir donné une impulsion nouvelle à notre commerce. On croirait que le désir de prendre notre revanche de tant de vexations subies en silence nous pousse à travailler avec une énergie farouche à la construction de nouveaux navires. Capitaines et matelots, dans cette concurrence commerciale, semblent avoir, eux aussi, à cœur de montrer leur mépris pour les pirates qu'instiguent contre eux les Compagnies hollandaises et de montrer par là qu'ils ne sont pas indignes de leurs glorieux ancêtres. Et ce désir d'arracher un peu de richesse aux « ventres dorés » d'Amsterdam provoque un tel enthousiasme que, nonobstant tous les pamphlets, toutes les représentations et toutes les défenses, en 1718 et en 1719, neuf navires quittent le port d'Ostende.

Cependant les attaques des. Pays-Bas se font de plus en plus ardentes, de plus en plus violentes : leur intérêt est en jeu. Aux trafiquants d'Amsterdam se joignent encore les marchands de Londres, menacés eux aussi par cette concurrence inattendue. Les timides essais du début n'avaient pas, tout d'abord, inquiété ceux-ci, mais l'essor si rapide de notre flotte de commerce leur montra bien vite quel rival leur était né. Déjà, aux siècles passés, les marins hollandais leur avaient ravi une bonne partie de leur monopole commercial et plutôt que de se voir surgir un concurrent tout aussi redoutable, les marchands de la Cité, oubliant leurs anciennes rancunes, décident d'appuyer les protestations des Provinces-Unies.

De ce jour, se sentant soutenus par une grande puissance, les Hollandais redoublent d'activité ; leur opposition prend un ton d'extrême aigreur ; ils cherchent dans les vieux traités qui, jadis, ont si injustement méconnu les droits des Pays-Bas méridionaux quelque autre clause qui consacre définitivement la ruine maritime de ceux-ci.
Enfin, ils croient avoir trouvé l'argument suprême. Et les voici qui brandissent bien haut le traité de Westphalie qui naguère a consacré la ruine d'Anvers. Avec cette arme, ils menacent le Cabinet de Vienne, bien convaincus que c'est la sentence de mort d'Ostende que vont prononcer les ministres de Charles VI. Mais, fait inouï, sûr de son bon droit, le Cabinet autrichien repousse ces propositions outrecuidantes : il répond aussitôt, avec une fermeté qu'on ne lui aurait pas cru, qu'il désire « maintenir la bonne entente qui règne entre l'Empire et cette Puissance », mais que « la mer étant ouverte à chacun », nul ne peut enlever aux sujets de l'empereur le droit d'y naviguer. Et les ambassadeurs hollandais s'en retournent, la rage au cœur...
Fortes cependant de l'appui de leurs gouvernements respectifs, les Compagnies anglaises et hollandaises se livrent à un coup de main : elles s'emparent, le 15 novembre 1719 , du long-courrier ostendais, le Marquis de Prié, quoique ce navire fût pourvu d'un passeport délivré au nom de l'empereur.

Le capitaine de Winter, qui le commandait, est un vieux loup de mer, audacieux autant qu'énergique. A la force, il répondra par la force. De retour à Ostende, il arme une frégate, s'empare du Commany, le navire qui, peu de jours auparavant, avait osé l'attaquer, et ramène, victorieux, sa capture en rade d'Ostende.

On n'aurait su mieux répondre...

 

V POUR PROTÉGER LEUR COMMERCE LES BELGES RÉCLAMENT UNE FLOTTE DE GUERRE

L'événement avait prouvé jusqu'où pouvait aller l'audace des négociants de Londres et d'Amsterdam. Désormais les mers nous sont interdites. Les attaques de piraterie se répètent chaque jour. Enfin les États Généraux de Flandre, outrés de pareils procédés, adressent une supplique à l'Empereur Charles VI pour lui demander de protéger notre marine.

A la nouvelle de la première insulte faite à son pavillon, le souverain avait déjà autorisé le Gouverneur d'Ostende à accorder des lettres de représailles. Mais devant l'hostilité persistante des Compagnies anglaises et hollandaises, il se décida à prendre une attitude plus énergique et il fait demander des réparations à Londres et à la Haye. Après un simulacre de négociation, les Compagnies firent des propositions tellement déraisonnables qu'elles équivalaient à un refus. On réclama l'intervention des deux gouvernements.

Loin de désavouer les actes de violence dénoncés par les plénipotentiaires impériaux, les Cabinets de Londres et de la Haye embrassèrent avec chaleur la cause des Compagnies.

Que faire désormais devant une attitude si nettement hostile ? Déchaîner la guerre pour se faire rendre justice ? Il n'y faut point songer : jamais Charles VI, avec son caractère timoré ne se risquera dans une telle aventure pour un si maigre sujet. Car, à vrai dire, Ostende et les Pays-Bas lui importent fort peu. L'humiliation du traité de la Barrière avait montré clairement combien il s'en désintéressait.

D'ailleurs, eût-il pris vraiment à cœur les intérêts des négociants belges qu'alors même, il n'eût pu songer à les faire respecter par la force. Dans les conjonctures de l'époque, la guerre eût été une folle entreprise dans laquelle l'Empire se fût mis à dos la Hollande et l'Angleterre, les principales intéressées ; la Prusse, à l'affût de conquêtes nouvelles ; la France, par haine atavique pour les Habsbourg, l'Espagne, pour venger la perte des Pays-Bas, la Russie et la Turquie, prêtes déjà à tirer parti de la situation critique de l'Empire.

C'est alors que les États Généraux de Flandre prirent une belle initiative en adressant à l'Empereur une supplique dans laquelle ils le conjuraient de créer, à Ostende même, une marine de guerre belge.
Cette flotte de guerre que les Belges voulaient constituer, dès 1720, n'aurait, d'ailleurs, fait que continuer la tradition de l'ancienne marine belge qui, en 1535 notamment, prit part au siège de Tunis, sous l’ordre de Charles-Quint, et y débarqua des Belges qui participèrent brillamment à cette expédition.

Déjà auparavant, en 1442, la Hanse avait pu réquisitionner, presque uniquement dans nos provinces, 240 bateaux ronds, montés par 12.000 marins belges pour combattre  le Roi de Suède et un demi-siècle plus tard, grâce à cette flotte, elle put déclarer la guerre aux Anglais, se saisir de leurs vaisseaux sur toutes les mers et faire plusieurs descentes sur leurs côtes.

C'est cette flotte flamande que nous voyons aux prises avec la marine française pendant les guerres de Charles-Quint contre Henri II. En 1554, notamment, au cours d'un combat naval qui fut livré dans la Manche, 22 barques flamandes furent attaquées par 19 navires de guerre et 6 brigantins dieppois. La lutte fut acharnée : après une énergique défense, les flamands durent se faire sauter pour n'avoir pas à se rendre. Cinq barques flamandes seulement s'échappèrent. Quant aux marins français, ils perdirent sept de leurs vaisseaux.

Plus tard, en 1624, Philippe IV d'Espagne projeta, lui aussi, de créer, une marine de guerre belge : par sa fameuse charte d' Almirantazgo, — dont l'objet était le relèvement du commerce maritime des Pays-Bas catholiques — il alla jusqu'à préciser l'importance de cette flotte. Cette marine de guerre devait comprendre 24 navires de haut-bord, montés par 6 à 7.000 hommes ; elle devait être entretenue grâce à un droit de 1%, prélevé sur la valeur de toutes les exportations d'une Compagnie de navigation dont la création était prévue par la même charte. Mais, hélas ! Ce projet ne fut jamais réalisé.

Dans la création de cette flotte de guerre résidait vraiment la solution de toutes difficultés, maintenant qu'étaient épuisées les dernières ressources de la diplomatie. Sans engager les hostilités, on pouvait ainsi prendre une attitude ferme qui ferait peut-être reculer les gouvernements anglais et hollandais ; et même si les entreprises de piraterie continuaient, rien n'empêchait alors, tout en protestant auprès des deux gouvernements du désir de l'Empereur de rester en paix et amitié avec eux, de défendre nos vaisseaux de commerce contre les forbans.
La création de cette flotte de guerre réveillerait, en outre, chez toute notre population du littoral, un vieux fonds d'héroïsme qu'avait trop longtemps étouffé la domination étrangère et dont l'épanouissement ne pourrait que susciter des initiatives heureuses dans nos provinces. C'eût été, en effet, la preuve de l'attachement de l'Empereur pour les Pays-Bas, si malmenés par le traité de la Barrière, et ceux-ci, avec une fidélité que n'avait pu abattre jadis le plus lâche abandon, se seraient fait, en retour, les plus fidèles soutiens de l'Empire.

La création de cette flotte de guerre réunissait de tels avantages que déjà auparavant le Marquis de Prié l'avait préconisé. Lui-même, prétend-on, devant l'hostilité persistante des Compagnies anglaises et hollandaises, avait décidé de réaliser ce projet aussitôt que la constitution d'une flotte de commerce lui permettrait de s'y consacrer. Le croirait-on ? Charles VI, lui-même, malgré son caractère timoré, était conquis à cette idée depuis qu'en 1714, un Ecossais, Jehan Ker de Kersland, de son vrai nom, John Crawford, lui avait vivement conseillé de profiter de la situation d'Ostende pour y lancer quelques navires de guerre.

Il semblait donc bien que la réalisation de ce projet ne dût plus rencontrer aucun obstacle. Il n'en fut rien pourtant. Charles VI voulut encore temporiser. Qui sait ? Le temps arrangerait peut-être les choses ? Et puis, il ne faut faire aux Puissances nulle peine, même légère : notre médiocrité seule peut détourner des périls qu'attirerait plus de superbe. On se contenta donc, pour le moment, de distribuer des lettres de mer à tous les armateurs qui désirent trafiquer avec les Indes.

Ce n'est, sans doute, pas une bien grande garantie contre les entreprises des forbans anglais et hollandais. Mais ces derniers ont eu vent de la constitution d'une flotte de guerre. Devant les protestations courroucées du Cabinet de Vienne, ils comprennent qu'irriter davantage l'Empereur pourrait finalement déchaîner la guerre. Ils se résolvent alors à supporter le commerce d'Ostende qui, à vrai dire, ne leur cause pas grand tort : leurs attaques cessent pour la plupart.
Aussitôt, huit navires quittent le port d'Ostende et voguent vers l'Inde et la Chine. Ce sont : la Ville-de-Vienne, la Maison-d'Autriche, la Flandria, le Saint-Joseph, le Saint-François-Xavier, la Merveille, le Prince-Eugène et l'Eugène.
Mais cet effort considérable rappelle aux Compagnies combien l'essor d'Ostende a été rapide, malgré les attaques qui n'ont cessé d'entraver son commerce : deux navires quittaient le port en 1715; en voici maintenant huit qui mettent ensemble à la voile. Aussitôt ces Compagnies reprennent leur attitude agressive, appuyées, disent-elles, sur d'authentiques traités.

 

A SUIVRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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